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"Ni politiciens, ni religieux": les manifestants irakiens qui conspuent dirigeants véreux et Etat incapable de pourvoir la jeunesse en emplois s'élèvent contre la récupération politique, dans un pays rongé par corruption et clientélisme.
"Ce mouvement ne ressemble à aucun autre: c'est un mouvement populaire, non politisé, qui n'est lié ni à un parti ni à une tribu", s'enthousiasme Majid Saher, manifestant de 34 ans à Bagdad.
Pour la première fois, disent les protestataires, les cortèges de la capitale et de plusieurs villes du sud de l'Irak ne se sont pas formés à l'appel du leader Moqtada Sadr ou du grand ayatollah Ali Sistani, deux figures chiites incontournables sur la scène politique du pays.
- "Promesses jamais tenues" -
"Il n'y a pas de leader, regardez combien on est ici! On est tous des jeunes, on est tous au chômage", s'époumone Hussein Mohammed, qui loue à la journée la force de ses bras de manoeuvre faute d'emploi stable.
Le chômage touche un jeune sur quatre alors que le secteur public, qui absorbait du temps de Saddam Hussein tous les diplômés de l'université, est hypertrophié et ne peut plus recruter.
Tous les jours ou presque dans une ville ou une localité d'Irak, les diplômés chômeurs organisent de modestes sit-in, dans l'indifférence générale. Mais cette fois-ci, ils sont descendus en masse dans les rues, suivis par tous les mécontents du gouvernement d'Adel Abdel Mahdi, en place depuis à peine un an.
Il y a ceux qui veulent la fin de la corruption, qui a déjà englouti plus de 410 milliards d'euros à l'Etat en 16 ans, ceux qui réclament des services publics fonctionnels pour mettre fin à des décennies de pénurie d'électricité et d'eau potable, ceux qui soutiennent un général récemment mis à l'écart...
Nesrine Mohammed, elle, plaide pour le "dégagisme" général: "du gouvernement et des politiciens, on n'obtient que des mensonges et des promesses jamais tenues. Les partis, eux, nous ont volé tous nos rêves", énumère cette manifestante de 46 ans. "Il n'y a pas de place pour les pauvres dans ce pays", s'énerve-t-elle.
Alors pour Walid Ahmed, un ancien militaire qui tousse au milieu de la fumée noire s'élevant des pneus brûlés par les manifestants à Bagdad, pas question que le mouvement se fasse récupérer.
"Notre problème numéro un, c'est la corruption, elle nous a tués", s'épanche-t-il auprès de l'AFP.
"On ne veut pas de partis politiques, de dignitaires ou de chefs religieux. On ne veut pas qu'ils rejoignent le mouvement", martèle-t-il encore.
Pour le spécialiste de l'Irak Fanar Haddad, le caractère spontané de la contestation, premier test du gouvernement Abdel Mahdi, est inédit.
"C'est la première fois qu'il y a des manifestations massives et violentes sans que le mouvement sadriste ne soit impliqué", explique le chercheur à l'AFP.
- Mort d'un "mythe" -
Les manifestations lancées mardi, quelle que soit leur issue, auront montré une chose, dit-il: "le mythe selon lequel seuls les partisans de Moqtada Sadr peuvent faire sortir les gens dans les rues a volé en éclats".
"Il semble que les gens eux-mêmes peuvent faire sortir le peuple dans la rue", poursuit-il, alors que le précédent mouvement social d'ampleur, qui avait paralysé la Zone verte de Bagdad en 2016, avait été mené par Moqtada Sadr.
D'ailleurs, quand ce dernier a appelé mercredi soir, 24 heures après le début de la crise, à une "grève générale", il a pris soin de préciser qu'il ne voulait pas transformer "des manifestations populaires" en "manifestations partisanes".
Mais, prévient M. Haddad, cette indépendance du mouvement, annoncé par des appels à manifester sur les réseaux sociaux derrière lesquels aucune partie n'a été identifiée, "est à double tranchant, pour le gouvernement et pour les manifestants".
D'un côté, la rue a pris conscience de son poids avec "une vague incontrôlable qui s'étend de quartier en quartier et de ville en ville", dit-il, mais de l'autre, personne ne sait "vers où va cette vague?".
Et le slogan phare des révolutions arabes de 2011 "le peuple veut la chute du régime", entendu dans des défilés, n'a pas la même résonance dans le pays où les postes sont attribués en fonction des confessions des dirigeants rendant, de fait, "le pouvoir diffus", affirme M. Haddad.
"Il n'y a pas de roi à envoyer à la guillotine" en Irak, conclut-il.