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Le documentaire "Sous les pavés... les flics", programmé lundi soir sur France 3, prend à contre-pied les commémorations de mai 68 en donnant pour la première fois la parole à ceux que les étudiants traitaient de "CRS SS".
Douze membres des forces de l'ordre, gendarmes, CRS, policiers, "pas faciles à trouver", ont accepté de témoignent de "leur mai 68", dit à l'AFP David Korn-Brzoza, coauteur du film avec Laurent Chabrun.
Cinquante ans après la fermeture de la Sorbonne, le 3 mai 1968, qui a marqué le début de semaines d'émeutes estudiantines, ils ont tous "leur petite anecdote" à livrer, "enfin".
Ces témoignages sont entrecoupés d'images d'archives, dont une vingtaine de minutes colorisées, montrant la colère étudiante en action, les rues du Quartier latin ravagées, les montagnes de pavés et les voitures incendiées érigées en barricades.
Les "flics" interrogés affirment qu'ils n'étaient guère préparés psychologiquement, ni équipés pour affronter une telle violence urbaine.
- Des casques de la 2nde guerre -
"On leur avait fourni des casques de la Seconde Guerre mondiale qu'ils portaient sur des costumes cravate". L'un d'eux déclare avec humour : "On était habillés comme pour faire le festival de Cannes !"
Un gendarme ironise sur le fait que les étudiants ne reconnaissaient pas les différents uniformes : pour eux, ils étaient "tous des +CRS SS+".
"Pour certains policiers qui avaient grandi pendant la guerre, qui ont pu avoir des parents ou amis fusillés, se faire traiter de SS était douloureux", remarque le réalisateur, selon qui "il y a eu un vrai malaise policier pendant mai 68".
Les coauteurs ont eu l'idée du film à la lecture de documents évoquant "des enregistrements audio de la préfecture de police" de l'époque. Ils se sont empressés de "demander l'ouverture de ces archives".
La requête acceptée, ils mettent la main sur "trente-cinq heures de communication inédite entre la salle de commandement et les effectifs sur le terrain", précise l'auteur.
A l'écoute de l'intégralité des enregistrements, dont on entend de nombreux extraits dans le film, l'auteur confie avoir été "très étonné de découvrir que les fonctionnaires sur le terrain ne perdent à aucun moment leur sang-froid, pas même verbalement".
Le mouvement étudiant avait eu ses prémices, partout dans le monde. Il avait commencé aux États-Unis au début des années 1960, culminant avec l'opposition à la guerre du Vietnam.
- "Cocotte minute du Gaullisme" -
"C'était comme une sorte de cocotte minute du Gaullisme sur le feu depuis dix ans et qui devait exploser", poursuit David Korn-Brzoza.
Une fois que les sommations d'usage sont faites, l'objectif du maintien de l'ordre est de dégager la rue avec des charges et des matraques. "C'est une force qui doit maîtriser la foule, sans provoquer de lésions irréparables", dit-il.
Il y a eu en tout cinq morts pendant les événements, dont deux en mai. Un commissaire de police à Lyon a été écrasé par un camion vide lancé par les étudiants sur les forces de l'ordre avec l'accélérateur bloqué. "Ils voulaient faire du grabuge mais voulaient-ils tuer...? ", s'interroge David Korn-Brzoza.
Maurice Grimaud, le préfet de Police à Paris à l'époque, qui était le successeur de Maurice Papon "a su tenir ses troupes", estime le réalisateur. "Il ne voulait pas qu'on se souvienne de lui comme un +Papon bis+, qui avait ordonné de balancer des Algériens dans la Seine, pendant la guerre d'Algérie."
Le préfet avait écrit une lettre aux forces de l'ordre à bout, datée du 29 mai, "enseignée dans toutes les écoles de police aujourd'hui", selon le documentariste. Avec cet extrait cité dans le film : "Frapper un manifestant tombé à terre, c'est se frapper soi-même apparaissant sous un jour qui atteint toute la fonction policière".