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Présidentielle: dans la plus grande prison d'Europe, des détenus pour la première fois à l'isoloir

Des bulletins, deux isoloirs, une urne: à Fleury-Mérogis, la plus grande maison d'arrêt d'Europe, des détenus ont commencé mercredi à voter pour l'élection présidentielle, une première pour ce type de scrutin au sein même de la prison et pour nombre d'entre eux.

Au bâtiment D3, occupé par 650 détenus, une centaine d'inscrits volontaires sur les listes électorales sont amenés depuis leur cellule dans la salle polycultuelle, transformée en bureau de vote.

Comme beaucoup, Sofiane, 28 ans, vote pour la première fois (les prénoms des détenus ont été modifiés, ndlr).

"Je vous explique comment on fait ? Vous prenez le bulletin de la personne pour qui vous votez et aussi d'autres bulletins, pour ne pas que je sache qui c'est", lui indique une directrice pénitentiaire.

Sofiane, survêtement gris clair et grands yeux verts, entre dans l'isoloir. "Il faut tirer le rideau, Monsieur, qu'on ne vous voie pas."

Le détenu, incarcéré depuis un mois, admet voter surtout pour "sortir de sa cellule" où il est "enfermé 22 heures sur 24". "Avant, je ne votais pas car je n'avais pas que ça à penser : j'étais libre", rit-il jaune.

Si Ibrahim, maillot blanc et rouge sur le dos, apprécie également de "prendre l'air", le détenu de 23 ans voit surtout "une chance à saisir" en cette matinée électorale.

En organisant ce vote, "l'Etat ne nous oublie pas, il pense à nous", estime celui qui vit depuis sept mois à l'ombre du mur de trois kilomètres de Fleury-Mérogis, au sud de Paris.

"Si ça s'trouve dehors, je n'aurais même pas eu le temps de venir voter", poursuit Ibrahim, s'estimant "plus informé en prison": "vu qu'on regarde H24 la télé, on sait ce qui se passe et ça donne plus envie d'aller voter".

- "Un charme" -

Youssef, 26 ans, avait participé à la dernière présidentielle. Il était libre alors. Retrouver un bureau de vote en prison lui plaît.

Oui, "il y a des policiers" et "on est sous les ordres", mais "il y a un charme", assure l'écroué à la voix posée: avec ce bureau, "ils nous font nous sentir comme à l'extérieur".

"L'objectif n'est pas de faire oublier la détention, mais de rappeler aux détenus qu'ils sont citoyens, même en prison", souligne de son côté Franck Linares, directeur de Fleury-Mérogis.

Voter constitue une étape de réinsertion et "permettra aux personnes détenues d'avoir déjà une première approche du bureau de vote" à leur sortie, abonde Léa Fory, référente élections.

Cette modalité de vote dite "par correspondance", au sein même des établissements pénitentiaires, existe depuis 2019. Et c'est la première fois qu'elle est proposée pour la présidentielle.

Elle complète deux autres modalités, le vote par permission de sortie et par procuration, plus compliquées dans leur application: lors de la présidentielle en 2017, sur 70.000 détenus environ, 809 avaient fait une procuration et 200 s'étaient vus accorder une permission de sortie.

En 2022, ils sont 768 à avoir demandé à voter par procuration et 1.314 par permission. Pour le vote par correspondance, sous pli fermé au sein de la prison, les chiffres grimpent: le ministère de la Justice enregistre 13.672 inscrits.

Ces votes par correspondance sont acheminés au ministère de la Justice, où ils seront dépouillés le jour du scrutin national, le 10 avril. Pour le deuxième tour de la présidentielle, même programme.

A Fleury-Mérogis, occupée par 3.600 hommes et femmes détenus et où il y a "énormément de mouvements" entre "la promenade, l'infirmerie, le parloir...", l'enjeu de ce vote en détention est de "tenir compte des activités" des votants, détaille Etienne Lebrun, directeur du D3.

"Ce matin, certains sont partis en extraction judiciaire. On a dû les faire voter avant qu'ils ne partent au tribunal", illustre-t-il.

Avant le scrutin, dans toute la France, les établissements ont mené des campagnes de sensibilisation à l'inscription aux listes électorales.

A Fleury-Mérogis, "les surveillants ont fait le premier pas", raconte Karim, qui vote pour la première fois à 38 ans. "Avant, j'étais un mauvais garçon, anti-société", dit-il, sérieux.

Qu'espérer pour sa sortie, prévue en novembre ? Un président qui donne "du travail pour les jeunes", répond l'homme aux cheveux grisonnants. "Sans travail, c'est ce qui fait la délinquance", juge le détenu. "J'ai eu mon BTS cuisine mais j'avais pas de travail, c'est comme ça que j'ai dérivé".

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