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Il y a deux ans, Robert (prénom d'emprunt car il veut garder l'anonymat), 58 ans, apprend qu’il est atteint d’un cancer. Une tumeur a atteint sa prostate. Suivant les instructions de son médecin, cet habitant de Durbuy se fait donc opérer. Viennent ensuite les séances de chimiothérapie. "Ça s’est étalé sur 5 mois. C’est compliqué. Surtout quand on est indépendant et gérant de sa société", nous confie-t-il.
La maladie le force à abandonner quelque temps son activité. En septembre 2018, il entame un mi-temps médical. Il passe alors à 20 h de travail par semaine et réserve le reste de son temps à sa convalescence.
Les consultations chez les spécialistes se poursuivent. Il est nécessaire de contrôler l’évolution de sa maladie. En mars dernier, lors d’un énième rendez-vous, le diagnostic n’est pas bon. Sur conseils de son oncologue, Robert s’oriente vers des séances de radiothérapie, ce traitement qui consiste à exposer le patient à des rayonnements radioactifs qui vont détruire les cellules cancéreuses. Au total, on lui prescrit 5 séances.
Prise de température, masque et gel désinfectant
A ce moment-là, le coronavirus a déjà gagné le territoire belge. Le pays est confiné et les premières mesures en matière sanitaire sont données.
Pour son premier rendez-vous, direction l'hôpital Vivalia de Libramont. Robert découvre un établissement quasi vide. Le va-et-vient habituel des soignants et des malades a laissé place à un silence peu ordinaire. Dès son entrée, sa température est prise via un thermomètre frontal. Pas de signe de fièvre, le quinquagénaire peut continuer sa route. Il se rend ainsi à l'accueil. Un chemin entièrement balisé l'y conduit. Il s'inscrit puis peut gagner le service d'oncologie. Il passe les portes "qui s'ouvrent sans que vous ayez besoin de toucher des poignées". On lui donne du gel désinfectant et un masque. Puis vient son tour, il est reçu par le médecin.
"J'ai été vite pris en charge. J'ai vu le médecin dans son cabinet qui est resté à distance de moi. Tout s'est très bien passé", nous confie Robert.
On a un système de santé qui marche bien, il faut le dire
Toutes ses consultations ont pu être faites
Pendant plusieurs jours, les rendez-vous de ce type s'enchaînent. L'une de ses consultations se déroule au CHU de Liège. Au vu de la grandeur de l'établissement, Robert craint d'abord une prise en charge plus compliquée. Mais il n'en est rien. "Là encore, tout s'est très bien passé. Cette fois-ci, j'avais apporté un masque. On me l'a changé dès que j'ai passé le service d'oncologie. Tout est prévu", nous détaille-t-il.
Robert a ainsi pu suivre toutes ses consultations prévues. "Aucun report", nous lance-t-il fièrement. Un mois plus tard, il attend désormais les résultats afin de savoir s'il est enfin libéré de cette tumeur qui le ronge. S'il a contacté notre rédaction, c'est pour "saluer les équipes de soignants qui restent sur le pont". "On a un système de santé qui marche bien, il faut le dire. Tous les malades n'ont pas été abandonnés. J'ai eu droit à une prise en charge remarquable", souffle-t-il.
Le suivi des patients atteints d'autres pathologies que celle du Covid-19 n'est pourtant pas simple. Chaque jour, des médecins et infirmiers œuvrent pour que la population puisse avoir accès aux soins. "Je suis entouré d’une équipe formidable qui a fait un travail extraordinaire pour assurer la continuité des soins malgré le contexte difficile", nous confie Guy Jérusalem, chef du service d'oncologie au CHU de Liège et Professeur à l'Université de Liège.
Au CHU de Liège, comme dans tous les hôpitaux du pays, il a fallu revoir la prise en charge des malades. Pour les personnes atteintes d'un cancer comme Robert, on définit la nécessité ou non d'une consultation physique. "En fonction du type du dossier, on voit si le rendez-vous physique est essentiel. Beaucoup de situations peuvent avancer sans consultation physique. Cela permet la diminution de contact", nous éclaire Guy Jérusalem. Dans la majorité des cas, les examens par téléphone ou en vidéoconférence sont privilégiés. Si le patient en ressent le besoin ou si son état l'exige, les praticiens consultent toujours sur rendez-vous au sein de l'établissement.
Un rendez-vous téléphonique avant la venue à l'hôpital
De son côté, l'hôpital de Libramont s'est inspiré des mesures prises par la France. Avant une consultation physique, un rendez-vous téléphonique se tient la veille, comme nous l'explique Frédéric Forget, oncologue à l'hôpital Vivalia Libramont. "La veille où le patient doit se rendre à l'hôpital, une infirmière le joint par téléphone. Ensemble, ils vérifient son état général. L'infirmière s’assure qu’il n’y a aucun signe potentiel de covid. On est dans une unité dite propre et il faut tout faire pour que jamais aucun patient atteint du covid ne puisse rentrer dans cette unité et contaminer d’autres patients", éclaire le praticien.
Car on le rappelle, les personnes atteintes d’un cancer, affaiblies à la fois par la maladie et la chimiothérapie figurent parmi les personnes à risques face au coronavirus.
Comme nous l'a décrit Robert, différentes mesures ont été mises en place afin de respecter les strictes conditions sanitaires. "Nous avons instauré le masque pour le soignant et pour le soigné alors même que l'on estimait encore au niveau national que ça ne servait à rien. Ça nous paraissait obligatoire pour la sécurité de tout le monde", nous indique Guy Jérusalem. Avant de poursuivre: "Il est évident qu’il y a beaucoup moins de patients donc la distanciation sociale est automatique. Il n’y a plus personne sur le parking, le hall d’entrée est vide, les couloirs aussi. On s’arrange que pour l’heure de consultation soit respectée".
Mêmes normes à l'hôpital de Libramont où les patients sont systématiquement isolés dans une chambre. "Aujourd'hui, on s'estime suffisamment équipés. Disons que c'est satisfaisant pour atteindre un niveau de sécurité qui n’est pas à 100%, on ne l’atteindra jamais mais il est quand même fort important", nous détaille l'oncologue Frédéric Forget.
La crainte: une augmentation de la mortalité hors Covid
Des mesures sanitaires respectées, un personnel dévoué et des patients reconnaissants. L'épidémie du coronavirus semble avoir impacté le travail des soignants sans pour autant le compromettre. Mais la bataille n'est pas gagnée si l'on en croit les affirmations de l'oncologue de Libramont.
Pour un cancer, attendre que ça passe n’est pas la solution
A l'hôpital de Libramont, la levée partielle des mesures de confinement débutée ce 11 mai a entraîné la venue de nouveaux patients atteints d'un cancer. "Tous les jours, j’ai de nouveaux patients avec parfois des stades très avancés. Certains se plaignent de douleurs qui durent depuis plusieurs semaines", nous indique le spécialiste.
Dans cet établissement de la province du Luxembourg, on enregistre en moyenne 2 nouveaux patients par jour au service d'oncologie depuis le 11 mai. Pendant le confinement, c'était 1 à 2 patients par semaine qui se rendaient à l'hôpital. Quand on parle de phase avancée, on désigne le stade symptomatique et métastatique. Dans ce cas-ci, les cellules cancéreuses ne sont plus uniquement localisées mais se sont propagées à plusieurs parties du corps. N'osant pas se rendre dans les établissements médicaux, certains de ces patients semblent avoir préféré reporter leur dépistage. "Mais pour un cancer, attendre que ça passe n’est pas la solution", nous rappelle Frédéric Forget.
Comme lui, le Professeur Guy Jérusalem craint voir surgir de nombreux autres malades dans les prochains mois. "Partout dans le monde, et au CHU aussi, on a constaté que les patients avec des maladies courantes ont quasiment disparu des hôpitaux. Peut-être parce que le diagnostic fait peur, déjà en temps normal, on veut faire la politique de l’autruche. Et maintenant, avec ce coronavirus, de moins en moins de gens osent se rendre dans les hôpitaux. On craint que dans quelques mois, les pathologies soient plus avancées et ceci va avoir un impact très négatif sur les diagnostics", conclut-il.
Rattraper notre retard avec moins de temps
Suite au déconfinement progressif, les hôpitaux élargissent les consultations physiques. Mais un problème se pose. Les conditions sanitaires imposées entraînent un surcroît de travail pour le personnel médical et par conséquent, une importante liste d'attente pour les malades.
"Depuis le 11 mai, on a repris les rendez-vous mais on doit rattraper notre retard avec moins de temps. Car les consignes imposent notamment la désinfection complète des scanners et imageries. Aujourd'hui, il faut augmenter le temps entre deux examens tout en ayant une augmentation du nombre des patients. Cela entraîne d'important retards pour les examens", constate l'oncologue de Libramont Frédéric Forget. Une dure réalité qui devrait perdurer durant plusieurs mois selon le spécialiste.