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Samal Esliamova, actrice kazakhe sacrée à Cannes, joue avec le vécu

Son obsession: "jouer juste, jouer vrai". Et pour y parvenir, la jeune Kazakhe Samal Esliamova, dont la performance choc a bouleversé le festival de Cannes, n'hésite pas à flirter avec ses limites physiques.

Vêtue d'un sobre costume bleu marine et sans maquillage, tout comme son héroïne Ayka, la jeune immigrée kirghize en Russie qu'elle interprète dans le film éponyme de Sergueï Dvortsevoï, Samal Esliamova parle aujourd'hui avec détachement de son triomphe sur la Croisette.

Sa prestation dans le film du réalisateur kazakh, tourné par une équipe en grande partie russe, lui a valu à 33 ans le prix d'interprétation féminine au festival de Cannes.

"À l'annonce de mon nom, j'en ai eu presque des larmes aux yeux: et notre film? et l'équipe?", se souvient l'actrice qui reçoit l'AFP dans une salle d'études à la GuITIS, école d'art dramatique de Moscou où elle est venue pour remercier ses anciens professeurs.

C'est presque avec nostalgie que Samal Esliamova raconte ses exercices physiques exténuants avant chaque entrée sur le plateau, le réalisateur Sergueï Dvortsevoï, connu pour son style quasi-documentaire, insistant pour que son héroïne soit réellement épuisée devant la caméra.

"Pendant le tournage j'ai dormi cinq heures par jour, mais d'autres ont dormi encore moins", se souvient-elle.

Dès les premières séquences, on voit Ayka, violée, abandonner son enfant à l'hôpital, et pendant 1H40, la caméra ne la quittera plus, via de longs plans séquences. On verra la jeune femme plumer et vider des poulets dans un hangar enneigé de Moscou, puis soulager ses seins endoloris en les vidant de leur lait dans ce squat où elle est hébergée par un marchand de sommeil...

Jusqu'à son visage transfiguré lorsqu'elle revient sur sa décision et défie son destin avec "un degré d'authenticité, de douleur contenue et d'énergie sans précédent dans le cinéma russe", selon les mots du critique du site d'information russe Meduza.

- "Authenticité" -

L'idée du film se base sur une statistique tragique datant de 2010, qui relève que 248 bébés ont été abandonnés dans des maternités moscovites par des femmes immigrées venues du Kirghizstan, raconte Samal.

"Le sujet sur un lien qui existe entre la mère et son enfant touche parce qu'il est universel", explique l'actrice, qui a passé des mois à observer la vie de ces jeunes immigrées clandestines à Moscou. "Notre obsession était de jouer juste, jouer vrai", explique-t-elle.

Selon le réalisateur, "80% du scénario s'est écrit au jour le jour avec Samal, dont le personnage a commencé à vivre sa vie".

Samal Esliamova est adepte de la "méthode Stanislavski", du théoricien du théâtre russe Constantin Stanislavski dont la pratique innovatrice, apparue au début du 20e siècle, est bâtie autour de l'authenticité, d'une vérité du jeu de l'acteur.

"Samal joue à partir du vécu, sans imiter", juge son ancien professeur à la GuITIS, le metteur en scène russe Evguéni Kamenkovitch, pour qui l'actrice "a été une étudiante un peu unique: pudique, sûre et dévouée".

Elle a suivi notamment les cours du cinéaste Andreï Zviaguintsev, un autre adepte de Stanislavski, lui aussi issu de la GuITIS et membre du Jury du festival de Cannes cette année. Ses films y ont été récompensés à plusieurs reprises.

"La GuITIS m'a appris à être libre", résume Samal Esliamova.

- Devenir "une vraie actrice" -

Son Kazakhstan natal l'a accueillie en vraie héroïne nationale.

"C'était étonnant: dès l'aéroport, les douaniers m'ont saluée et une foule d’artistes m'y attendait avec des fleurs alors qu'il était quatre heures du matin", se souvient l'actrice, avec un sourire gêné.

Elle s'est vu offrir un appartement trois-pièces flambant neuf des autorités, récompense réservée jusqu'alors aux champions olympiques.

Issue d'une famille d'agronomes de Petropavl, ville située près de la frontière russo-kazakhe, Samal Esliamova a fait ses études dans un lycée local à dominante artistique. A l'âge de 19 ans, elle obtient le rôle d'une mère de trois enfants dans "Tulpan", une fiction de Sergueï Dvortsevoï, lui-même originaire du Kazakhstan.

Son premier tournage se déroule dans un désert où il fait 50 degrés à l'ombre. "J'ai décidé alors que si j'endurais tout ça, je deviendrais une vraie actrice", se souvient Samal Esliamova avec un sourire désarmant.

En 2008, "Tulpan" reçoit le prix Un Certain Regard à Cannes. Dix ans plus tard, l'actrice kazakhe obtient son premier prix d'interprétation.

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