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Il y a un an, l'homme d'affaires soudanais Samir Gassim accueillait avec joie la levée des sanctions américaines contre le Soudan mais, depuis, la morosité persistante de l'économie l'a forcé à licencier des dizaines d'employés.
"Notre usine (de Khartoum) ne fonctionne plus à présent que huit heures par jour au lieu de 24 heures sur 24", a confié à l'AFP ce fabriquant de produits alimentaires et de boissons.
Le 12 octobre 2017, la levée de sanctions imposées par Washington avait suscité un espoir de relance économique dans ce grand pays d'Afrique.
Mais plusieurs hommes d'affaires soudanais estiment que la décision de Washington de maintenir malgré tout leur pays sur sa liste noire des "Etats soutenant le terrorisme", ainsi que des "opportunités manquées" de réformes, ont empêché le redressement tant espéré.
La crise s'est même aggravée. Depuis janvier, il est fréquent de voir dans les rues de Khartoum de longues files d'attente pour trouver de l'essence, du pain ou d'autres produits alimentaires.
Avec une inflation de près de 70%, la plongée de la livre soudanaise face au dollar américain, le coût de certaines denrées a plus que doublé au cours de l'année écoulée.
Des centaines d'usines ont fermé, déplore M. Gassim.
Un des principaux maux évoqué par les chefs d'entreprise est le maintien par Washington du Soudan sur sa liste noire, qui rend banques et institutions internationales réticentes à garantir les transactions commerciales avec ce pays et les investisseurs à s'engager.
De nombreuses entreprises étrangères "cherchent à soutenir de bons projets" dans le pays, raconte Ossama Daoud Abdellatif, à la tête du groupe Dal, le plus gros conglomérat soudanais pesant 1,5 milliard de dollars.
Mais ces sociétés ont une marge de manoeuvre "limitée" en raison de la frilosité des banques et des institutions internationales.
"C'est dans l'intérêt de Washington et de Khartoum de dépasser cet énorme obstacle" assure à l'AFP le PDG de Dal.
Washington avait placé le Soudan sur la liste noire des Etats soutenant le terrorisme en 1993 en l'accusant d'appuyer des groupes extrémistes islamistes. Le fondateur d'Al-Qaïda, Oussama Ben Laden, avait vécu dans le pays entre 1992 et 1996.
Retirer le Soudan de cette liste serait un signal fort pour dire aux investisseurs étrangers de soutenir le pays, plaide Ahmed Amin Abdellatif, président du groupe CTC qui pèse 250 millions de dollars.
- "Mauvais choix" -
Mais pour le PDG de Dal, les difficultés économiques du pays ne sont pas le seul fait des Etats-Unis. Le Soudan a "manqué une opportunité" d'encourager la croissance du temps de la prospérité pétrolière.
Jusqu'à l'indépendance du Soudan du Sud en 2011, le Soudan disposait d'importantes réserves d'or noir. Mais avec la scission, le pays a été amputé des trois quarts de ces ressources.
"Je pense que nous aurions pu faire davantage pour (développer) le secteur agricole avec les recettes engrangées dans le pétrole", estime le magnat de Dal.
Le Soudan, autrefois gros exportateur agricole, importe désormais des millions de tonnes de blé et d'autres céréales.
"Le déficit commercial est de 60%, et se reflète directement dans la dévaluation de la livre soudanaise", selon Ahmed Amin Abdellatif.
Le chargé d'affaires de Washington à Khartoum, Steven Koutsis, reconnaît que la présence sur la liste noire a limité la croissance, mais il déplore également les "mauvais choix économiques" de Khartoum.
Le plus important pour Washington, "c'est d'arriver au point où l'on peut retirer le Soudan de la liste des Etats soutenant le terrorisme", a-t-il déclaré à l'AFP dans les bureaux de la mission américaine, affirmant qu'un des buts de sa mission est d'aider Khartoum à remplir les conditions requises.
Pour le patron de Dal, le Soudan doit entreprendre de son côté des réformes importantes, au-delà des "bonnes paroles". "Nous devons trouver des solutions. La dernière chose que l'on souhaite ce sont des gens affamés".