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Le président Omar el-Béchir, qui dirigeait le Soudan d'une main de fer depuis 30 ans, a été renversé par un coup d’État de l'armée, dans le sillage d'un soulèvement populaire, et remplacé par un "conseil militaire de transition" pour deux ans.
Plusieurs pays, dont les États-Unis et l'Union européenne (UE), ont exhorté jeudi les militaires à intégrer les civils pour cette transition.
Le ministre de la Défense Awad Ahmed Benawf a été nommé à la tête du Conseil militaire de transition, après avoir annoncé à la télévision d'Etat "la chute du régime et le placement en détention dans un lieu sûr de son chef" Omar el-Béchir.
Des milliers de manifestants ont marqué leur rejet de la mise en place d'instances militaires de transition en se rassemblant devant le QG de l'armée malgré le début d'un couvre-feu, imposé par M. Benawf pour un mois de 22H00 à 04H00 locales, soit de 20H00 GMT à 02H00 GMT.
"Le sang de nos frères ne doit pas avoir coulé pour rien", a dit à l'AFP un manifestant, décidé à braver le couvre-feu, alors que le mouvement de contestation au Soudan, débuté le 19 décembre après la décision du gouvernement de tripler le prix du pain, a été marqué par la mort de 49 personnes, selon un bilan officiel.
Tôt jeudi matin, la TV nationale avait interrompu ses programmes et une immense foule s'était rassemblée dans le centre de Khartoum, anticipant la destitution du président de 75 ans, au pouvoir depuis un coup d'Etat en 1989.
Après de longues heures d'attente, les Soudanais ont accueilli en liesse l'annonce de M. Benawf. "Le régime est tombé!", ont scandé les milliers de manifestants qui campent depuis samedi devant le QG de l'armée.
Mais la joie est vite retombée. Car, outre la destitution du président, M. Benawf a annoncé l'instauration d'un "conseil militaire de transition" pour deux ans.
"Les gens ne veulent pas d'un conseil militaire de transition" mais "un conseil civil" a déclaré dans un tweet Alaa Salah, l'étudiante devenue "l'icône" du mouvement.
- "Révolution de palais" -
L'armée a proposé "des alternatives" mais s'est "heurtée à une volonté de résoudre le problème en utilisant l'appareil de sécurité qui peut conduire à de grosses pertes", a expliqué M. Benawf.
L'espace aérien a été fermé pour 24 heures et les frontières terrestres jusqu'à nouvel ordre, a-t-il dit.
Pour beaucoup de Soudanais, la nouvelle donne politique n'est qu'une "photocopie du régime", comme le résume un manifestant devant le QG de l'armée.
"Le régime a mené un coup d'Etat militaire en présentant encore les mêmes visages (...) contre lesquels notre peuple s'est élevé", a réagi l'Alliance pour la liberté et le changement (ALC). "Nous appelons notre peuple à continuer son sit-in devant le QG de l'armée et à travers le pays".
Les Etats-Unis, qui maintiennent des sanctions contre le Soudan, pays sur leur liste d'Etats soutenant "le terrorisme", ont exhorté l'armée soudanaise à intégrer les civils au gouvernement.
L'UE a aussi appelé l'armée à un transfert "rapide" du pouvoir aux civils.
Six capitales, dont Washington et Paris, ont demandé une session d'urgence du Conseil de sécurité de l'ONU sur le Soudan, a priori pour vendredi. Le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, a réclamé que la transition au Soudan respecte les "aspirations démocratiques" du peuple.
Un cessez-le-feu a aussi été annoncé à travers le pays, notamment au Darfour (ouest), où un conflit a fait plus de 300.000 morts depuis 2003 selon l'ONU.
Ces dernières années, le niveau de violence a toutefois largement diminué au Darfour, M. Béchir ayant annoncé plusieurs trêves unilatérales.
"Nous rejetons entièrement cette +révolution de palais+", a réagi Abdel Wahid Nur, chef d'un groupe rebelle du Darfour, "l'Armée de libération du Soudan", appelant à "un gouvernement civil de transition".
En 2009, la Cour pénale internationale (CPI), basée à La Haye, a lancé un mandat d'arrêt contre Omar el-Béchir pour "crimes de guerre" et "contre l'humanité" au Darfour, ajoutant en 2010 l'accusation de "génocide".
L'ONG Amnesty International a appelé à "remettre" M. Béchir à la CPI afin qu'il soit jugé pour ses "crimes innommables".
- Prisonniers politiques libérés -
L'Union africaine a critiqué la "prise de pouvoir par l'armée" au Soudan, estimant qu'elle "n'est pas la réponse appropriée aux défis" du pays.
De son côté, l'Egypte voisine, où l'armée avait également éjecté Hosni Moubarak du pouvoir en 2011 sous la pression de la rue, s'est dit "confiante dans la capacité du peuple et de son armée" à mener à bien cette transition.
Jusque là fer de lance de la répression, le puissant service de renseignement au Soudan (NISS) a fait état de la libération de tous les prisonniers politiques.
A Kassala (est), le refus d'officiers de relâcher des prisonniers détenus là-bas a suscité un raid des manifestants dans les locaux du NISS, selon un témoin. Une attaque similaire a été menée à Port-Soudan (est) par des manifestants antirégime, selon des témoins.
Des foules étaient aussi rassemblées dans les villes de Madani, Gadaref, Port-Soudan et Al-Obeid.
M. Béchir avait tenté de réprimer la contestation par la force avant d'instaurer le 22 février l'état d'urgence à l'échelle nationale.
Béchir parti, l'ONG Amnesty International a appelé les nouvelles autorités à "mettre fin définitivement à une ère de massacres et d'oppression" au Soudan.
Le chef rebelle sud-soudanais Riek Machar, exilé à Khartoum, a dit espérer que la destitution du président soudanais n'affecterait pas le processus de paix en cours dans son pays. Le Soudan du Sud, majoritairement chrétien, a obtenu son indépendance du Soudan en 2011, après 22 ans de conflit. Il avait basculé dès décembre 2013 dans la guerre civile, amorcée par la rivalité entre Salva Kiir et Riek Machar, pourtant anciens alliés lors du combat commun contre Khartoum.