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Les chefs de la contestation au Soudan ont annoncé vendredi la formation prochaine d'une autorité civile chargée des affaires du pays, pour accroître la pression sur les militaires qui ont refusé jusque-là de transférer le pouvoir.
Sur le terrain, des milliers de Soudanais sont rassemblés devant le QG de l'armée dans le centre de la capitale Khartoum, pour le 14e jour consécutif.
Il y a quatre mois jour pour jour, un mouvement populaire a commencé au Soudan pour protester au départ contre le triplement du prix du pain dans un pays à l'économie exsangue. Il s'est rapidement transformé en contestation contre le président Omar el-Béchir qui a été destitué le 11 avril par l'armée après près de trois décennies au pouvoir.
Depuis son renversement, un Conseil militaire de transition dirigé par le général Abdel Fattah al-Burhane a pris le pouvoir et a résisté jusque-là aux appels des manifestants à le transférer à une administration civile.
Déterminée à maintenir la pression, l'Association des professionnels soudanais (SPA), groupe en première ligne de la contestation, a annoncé que "les noms des membres d'un Conseil civil chargé des affaires du pays seront annoncés lors d'une conférence de presse dimanche à 19H00 locales (17H00 GMT)" devant le QG de l'armée.
"Nous réclamons que ce Conseil civil, qui comprendra des représentants de l'armée, remplace le Conseil militaire", a déclaré à l'AFP Ahmed al-Rabia, un des leaders de la SPA.
L'armée n'a pas réagi dans l'immédiat à cette annonce.
- "Long chemin" -
Au sit-in devant le QG, les manifestants disent leur intention de rester jusqu'au départ des militaires du pouvoir.
"Le gouvernement doit être représentatif de tous et de toutes les aspirations. Il ne doit exclure personne", a dit cheikh Mater Younes, l'un des leaders de la prière musulmane du vendredi en s'adressant aux manifestants.
Originaire du Darfour et aveugle, ce cheikh a été libéré récemment après huit mois de détention à Khartoum pour avoir accusé le régime de M. Béchir d'armer les milices pour lancer une nouvelle attaque dans cette région occidentale.
Arrêté et détenu dans une prison de la capitale, M. Béchir, 75 ans, est sous le coup de mandats d'arrêt de la Cour pénale internationale (CPI), pour "génocide" et "crimes de guerre" au Darfour où son régime avait combattu des rebelles depuis 2003. Les autorités actuelles refusent pour le moment son extradition.
Des victimes au Darfour réclament elles que l'ex-président soit jugé. "Je veux que Béchir affronte la justice, c'est un criminel", confie Hawwa Youssef, une septuagénaire dont le fils été tué en 2004 par des miliciens prorégime. Elle vit encore à ce jour dans un camp de déplacés dans la province du Darfour-Sud.
"Nous voulons un gouvernement civil qui apportera la justice à tous les Soudanais, traduira en justice tous les corrompus dans les précédents gouvernements de Béchir et améliorera la situation économique. Le peuple souffre", abonde à Khartoum un manifestant Abdellah Abdelrahmane, 28 ans.
Galvanisés par les concessions obtenues avec le départ de M. Béchir et d'autres responsables militaires, les manifestants apparaissent plus déterminés que jamais.
Vendredi, malgré une chaleur étouffante, ils ont dansé et chanté sur des mélodies arabes et africaines, a constaté une correspondante de l'AFP. Des femmes distribuaient des jus et des pâtisseries traditionnelles, encourageant les protestataires à poursuivre la mobilisation.
- Emissaire américain au Soudan -
Arrivé au pouvoir par un coup d'Etat soutenu par les islamistes le 30 juin 1989, M. Béchir a dirigé d'une main de fer un pays en proie à des rébellions dans plusieurs régions et était accusé de violations des droits humains par les ONG internationales.
"Il est de plus en plus clair que la révolution reste inachevée", a affirmé à l'AFP Alan Boswell, du centre de réflexion International Crisis Group (ICG). "La clique sécuritaire toujours au pouvoir résiste clairement aux exigences" de la rue.
Depuis le 19 décembre, la répression contre les manifestants a fait plus de 60 morts et des centaines de blessés. Des milliers de personnes ont été emprisonnées.
Les Etats-Unis, qui maintiennent le Soudan sur leur liste noire des "Etats soutenant le terrorisme", ont salué les premières mesures prises par les militaires qui ont destitué M. Béchir, mais ont appelé à une transition répondant davantage aux voeux des Soudanais.
La responsable du département d'Etat chargée de l'Afrique de l'Est, Makila James, "se rendra au Soudan ce week-end", a annoncé un haut responsable américain, sans autres précisions.