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Allongé sur la plage de Lesbos, Mehdi voit 120 migrants débarquer: "Ils étaient émus, je ne regrette pas une seconde de les avoir aidés"

En vacances sur l'île de Lesbos, un jeune de 26 ans a vu débarquer trois bateaux remplis de migrants dont la dignité a été mise à rude épreuve lors de leur trajet. Ce qu'il avait l'habitude de voir à la télévision se manifestait devant lui. "J'ai fait des allers-retours pour leur distribuer de l'eau et des fruits. C'est le meilleur temps/argent que j'ai dépensé dans ma vie", a-t-il écrit sur sa page Facebook, étonné de constater que certains articles sur internet critiquaient le comportement des migrants.

Cette année, Mehdi, un habitant de Thorembais-Saint-Trond travaillant dans un refuge pour animaux, décide de passer une semaine au calme. La maison de vacances de ses parents dans la petite ville de Méthymne, sur l'île grecque de Lesbos, est proche d'une baie de pêcheurs. Mehdi s'y rend depuis toujours avec sa mère, originaire de l'île. Avec son eau de mer cristalline et ses galets reflétant le soleil, l'endroit est paradisiaque. Dimanche dernier, le jeune homme de 26 ans se rend à la plage et s'y allonge. Seul à 2 km à la ronde, il se prélasse et admire les côtes turques, visibles sans jumelles. Ce jour-là, la mer est très calme. Mais soudain, Mehdi aperçoit des mouvements à l'horizon.


Mehdi voit arriver 120 migrants: "Je suis allé voir si tout allait bien"

Des ombres se rapprochent: trois embarcations sont en train d'arriver depuis la Turquie. Le jeune homme comprend ce qui se passe: des bateaux remplis de migrants arrivent sur la plage. Ils font partie des 350.000 migrants, selon l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), à avoir traversé la Méditerranée depuis janvier, dont 235.000 sont arrivés en Grèce. "Je suis allé voir si tout allait bien", dit Mehdi par téléphone depuis l'île de Lesbos, après nous avoir joints via notre page Alertez-Nous. Sur place, Mehdi est sous le choc: chaque embarcation transporte en moyenne 40 personnes. Des enfants, des vieillards, de jeunes adolescents, des femmes, des hommes... des personnes qui fuient leur pays. D'après l'OIM, sur ces centaines de milliers de migrants en Méditerranée, 2.643 y ont laissé leur vie.





"Je leur ai acheté des bouteilles d'eau. Certains pleuraient en me remerciant"

Comment réagir? Mehdi va spontanément à leur rencontre. "La plupart ne parlait pas anglais, français ou grec, raconte-t-il. J'ai demandé en anglais s'ils avaient besoin d'eau ou de nourriture: ils n'avaient rien. Certains avaient les larmes aux yeux et se sont mis à prier dès qu'ils ont posé un pied à terre".

Mehdi comprend l'urgence. Il se précipite dans le restaurant le plus proche, achète 40 bouteilles d'eau et des pastèques. Il distribue ses achats aux passagers des deux premières embarcations (la troisième a accosté sur une autre plage, plus loin). "Les migrants se sont montrés très reconnaissants, ça m'a vraiment fait chaud au cœur. Il y en avait qui étaient à la limite de pleurer en me remerciant. J'ai été très touché par leur réaction".

 


Ils marchent 70 km sous un soleil de plomb: "Ils sont exténués"

L'un des migrants parle anglais. "Il venait de Syrie, dit-il. Je n'ai pas pu parler à tout le monde, mais il m'a semblé que la plupart fuyait la Syrie et l'Irak". Deux pays rongés par la guerre et ruinés par l'organisation terroriste Etat islamique.

Les migrants semblent être seuls, aucun passeur à bord, on l'imagine. "Il n'y avait personne pour diriger les passagers, décrit Mehdi. Ils sont tous descendus du bateau, et sont restés par petits groupes. Ils disaient "city city", probablement pour savoir comment rejoindre la ville, quitter la Grèce par ferry et poursuivre leur route en Europe. Donc ici, leur premier objectif est de rejoindre Mytilène, la principale ville de l'île, située à environ 70 km". En effet, l'objectif de la plupart des demandeurs d'asile fuyant la guerre en Syrie et en Irak et arrivant en Grèce après avoir traversé environ 2.500 km en Turquie est d'atteindre ensuite la région des Balkans, via les routes de Macédoine et Serbie, jusqu'à la Hongrie avant d'espérer atteindre l'Allemagne. Selon un porte-parole de l'Unicef, Christophe Boulierac, "le nombre de femmes et d'enfants qui fuient la violence" en passant par la frontière de la Macédoine "a triplé au cours des trois derniers mois". L'Allemagne, première destination européenne pour les demandeurs d'asile, s'attend à en accueillir cette année un total de 800.000, un record européen. 

Mehdi prend sa voiture et commence à faire des allers-retours pour emmener ces migrants exténués sur le bon chemin. D'autres, prennent la route à pied. En effet, pour une raison que Mehdi ignore, ils ne parviennent pas à se procurer des tickets de bus. "Ils ont de l'argent sur eux, ils ne viennent pas sans rien, mais ils ont des difficultés à se procurer des billets, raconte-t-il. Donc, ils marchent le long de la route entre Méthymne et Mytilène, sous un soleil de plomb. Ici, il fait 35 à 40 degrés tous les jours et sur cette route, il n'y a pas d'ombre. Ils ont de gros habits, inadaptés à la chaleur. Le trajet est très long, on en voit beaucoup sur ce chemin".

Une fois le long de la route, les migrants n'avaient pas l'air terrifié, mais ils semblaient "inquiets", précise Mehdi. "Ils étaient très fatigués du voyage et tenaient à peine debout. Sous cette chaleur écrasante, ils n'auraient pas tenu sans eau". L'un d'eux fait d'ailleurs un malaise: Mehdi, qui connait très bien la région et parle parfaitement grec, l'emmène chez le docteur.

Depuis qu'ils ont reçu un appel SOS, les pêcheurs scrutent l'horizon chaque matin pour aider des migrants en détresse

Comment réagit-on sur place? Comment les touristes et les locaux vivent-ils cet afflux d'immigrés? Selon Mehdi, "tout le monde" est plus attentif à ce qui se passe. "Les pêcheurs ont déjà eu un appel SOS d'une embarcation d'immigrés qui était dans la baie, raconte-t-il. La garde maritime n'a pas répondu. Alors les pêcheurs de la baie sont allés les aider. Depuis cet événement, chaque matin, les pêcheurs scrutent l'horizon et écoutent la radio au cas où il y a un appel SOS en pleine mer. Ils sont prêts à intervenir".

Dans le centre de Méthymne, à un arrêt de bus, Mehdi a aperçu deux touristes en train de distribuer de l'eau aux migrants. "J'ai observé plusieurs types de réactions, dit le jeune homme. Je trouve qu'il y a beaucoup de touristes qui aident d'une manière ou d'une autre les migrants: ils leur proposent à boire, à manger ou de les emmener en voiture quelque part. D'autres ne se préoccupent que de leurs vacances, mais majoritairement, les touristes de Lesbos sont solidaires".

"La capitale est remplie d'immigrés"

Mehdi avait un peu suivi l'actualité. Il se "doutait bien" que certains migrants allaient tenter d'accoster sur l'île de Lesbos. Mais lorsqu'il arrive dans le centre-ville, c'est un choc. "La capitale est remplie d'immigrés, constate-t-il. Méthymne est un point principal car un des plus proches de la Turquie. L'île n'est pas très bien organisée pour aider ces gens". "Mes parents m'ont dit qu'à Mytilène, les immigrés doivent faire la file pour pouvoir avoir un ticket et s'inscrire à la préfecture, mais la file est monstrueuse! Ils doivent attendre des heures et des heures. Pourtant, s'inscrire leur permet de s'organiser pour quitter l'île", et poursuivre leurs démarches.

Lesbos n'est pas très touristique comparée aux autres îles très connues de la Grèce. "C'est la 3e plus grande île de Grèce, mais on n'en entend jamais parler dans les journaux. Pourtant, ici beaucoup d'immigrés arrivent tous les jours".

"Ca fait chaud au cœur de te lire et ça dément les propos mensongers véhiculés par l'extrême droite sur leur agressivité"

Après cet événement, Mehdi poste un message sur Facebook, sur ces migrants en détresse: "Au vu de leur réaction je sais que c'est le meilleur temps/argent que j'ai dépensé jusqu'à présent dans ma vie", écrit-il sur son profil. Une de ses amies répond "Bravo Medhi, ça fait chaud au cœur de te lire et ça dément les propos mensongers véhiculés par l'extrême droite sur leur agressivité et leur refus de nourriture de notre part, merci mille fois pour eux". Mehdi ne comprend donc pas tout de suite que quoi parle son amie. Rapidement, il se renseigne sur internet et trouve des articles dénonçant l'attitude de certains migrants secourus. Comme à Calais par exemple, où moins d'une vingtaine de migrants sur les 1.600 présents ont refusé un plat offert par une association caritative, prétextant que celui-ci n'était pas assez épicé. Une attitude vivement dénoncée par Jean-Claude Lenoir, président de l'association Salam qui vient en aide aux migrants, qui précise cependant que la plupart des récalcitrants étaient venus s'excuser le lendemain. "Je ne savais pas qu'il y avait des avis négatifs sur le comportement des migrants dans les medias, reconnaît Mehdi. Certains articles prétendaient qu'ils étaient violents, qu'ils volaient chez les gens. J'ai donc voulu partager mon expérience avec eux: moi je n'ai eu aucun souci. Je les ai trouvés très gentils. Ils étaient ultra reconnaissants envers ce que j'avais fait".

"J'espère que je leur ai donné une belle image de la Grèce"

Mehdi est marqué par cette expérience. Il était important pour lui de témoigner. "Vous savez, je travaille dans un refuge pour animaux (l'asbl Sans Collier à Chastre, ndlr), je vis à la campagne avec mes deux chiens: pour moi, le bonheur, ce sont des choses simples, confie-t-il. Voir le regard de ces personnes migrantes, tellement émues, si chaleureuses. Ils ont été super gentils, je ne regrette pas une seconde de les avoir aidés. Je préfère dépenser mon argent à ça. Cela a eu un impact dans leur vie".

Confronté à la réalité, Mehdi s'est mis à leur place. "Le fait de les voir en face, de voir leur trajet,... Si je devais quitter mon pays avec ma famille et arriver dans un endroit où on parle une langue que je ne comprends pas, j'aimerais tomber sur quelqu'un qui m'aide un minimum, imagine-t-il. J'espère leur avoir donné une bonne première image de l'île de Lesbos et de la Grèce. J'ai juste fait ce que je pensais être naturel. Je pense que beaucoup de gens changeraient d'avis sur les migrants s'ils avaient vu ce que j'ai vu. Ce n'est pas pareil que de les voir à la télévision".

Mehdi, a voulu passer un message. "Il ne faut pas les diaboliser, si on traversait une épreuve comme celle qu'ils vivent, on ne tiendrait pas sans craquer sur tout ce chemin. Ce n'est pas par facilité qu'ils viennent, ni par choix, c'est par obligation. Il faut qu'on fasse de notre mieux pour les aider".

@Justine_Sow

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