Accueil Actu

Doit-on déclarer l'argent gagné avec des bitcoins ? Réponse et explications d'un expert

Entre une note officielle du Service Public Fédéral Finances et le manque de règles officielles en la matière, il est difficile de savoir si un particulier qui a gagné de l'argent en revendant des cryptomonnaies doit payer des impôts. Un avocat fiscaliste nous a aidé à mieux comprendre la problématique.

Cela fait plusieurs mois que la notion de Bitcoin et de cryptomonnaies se fait connaître auprès du grand public. On en a parlé dans le détail en marge d'un séminaire consacré à cette tendance financière assez complexe à appréhender.

Il est certain que des Belges ont craqué et investi dans l'une ou l'autre cryptomonnaie. Et ils ont même gagné pas mal d'argent s'ils ont acheté des bitcoins au début de l'année 2017 et surtout s'ils les ont revendus à la fin de cette année, quand un pic de demande a fait exploser son cours, sa valeur.

Doivent-ils pour autant déclarer ces gains ; et si oui, seront-ils taxés ? C'est ce que nous avons essayé de comprendre avec Ken Lioen, avocat fiscaliste auprès du bureau international NautaDutilh.

J'ai gagné de l'argent en revendant des bitcoins: dois-je déclarer ces revenus, vais-je être taxé ?

La réponse, comme souvent en terme de fiscalité, n'est pas simple. Le principe général est qu'il n'y pas de régime particulier: la fiscalité de notre pays n'applique pas vraiment de règles spécifiques pour les gains liés aux cryptomonnaies. Ça dépend en réalité de votre profil: le bon père de famille sera exempté d'impôt, l'investisseur (plus ou moins) professionnel sera taxé.

Tout d'abord, sachez qu'il ne faut pas forcément déclarer des gains issus de la revente de bitcoins. La théorie dit que "le contribuable ne doit déclarer ce genre de revenus que s'il ne s'agit pas de la gestion normale d'un patrimoine privé", explique notre expert. Par exemple, "la plupart des gens ne déclarent pas les plus-values sur la revente d'actions car ils considèrent que c'est un acte normal". Il ne faut déclarer les gains "en tant que revenus divers" que si on a fait réellement de la spéculation, où "en tant que revenu professionnel" si on en a fait son activité principale.

En réalité, le fisc est supposé faire du cas par cas, analysant chaque dossier individuellement. Les fiscalistes estiment qu'il y a "trois différentes sortes de taxation", liées donc à votre profil spécifique.

Trois profils différents

"Soit c'est la gestion normale d'un patrimoine privée. Il y a alors une exonération (on ne paie pas d'impôt, NDLR), et il ne faut pas rapporter la plus-value dans la déclaration. On est dans le même cas de figure que si on investit en bourse: on a des actions pendant plusieurs années, et après on les vend, on réalise alors une plus-value. On est considéré comme un bon père de famille". Un premier profil qui a l'air simple, mais "il y a des discussions aujourd'hui pour voir si les plus-values sur les cryptomonnaies peuvent aussi rentrer dans cette définition de gestion normale d'un patrimoine privé" (voir le 'ruling', plus bas).

Le deuxième profil considéré par le fisc, c'est celui de "spéculateur". On sort de l'idée du bon père de famille qui a en permanence quelques investissements gérés sur le long terme par sa banque ou par lui-même. Il s'agit de personnes qui effectuent régulièrement des transactions boursières, qui spéculent pour tenter d'anticiper les fluctuations. "Ils payeraient dès lors 33% d'impôt" sur les gains à déclarer comme 'revenus divers'.

Enfin, "le pire des cas, ce sont les personnes ayant spéculé à grande échelle, qui sont considérées comme des investisseurs professionnels. Les plus-values sont taxées à des taux progressifs allant jusqu'à 50%, sans oublier les cotisations à régler pour la sécurité sociale".

Celui qui a gagné 10.000€ avec un investissement de 1.000.000€ sera traité différemment qu’une personne qui a gagné 1.000€ avec la même somme d’investissement

Pas de critère précis pour catégoriser les profils

Ce qui complique les choses, c'est qu'il n'y a pas vraiment de définition dans la loi pour ranger les contribuables belges dans ces différentes catégories. "On est dans une zone grise, et ça pose problème", commente l'avocat fiscaliste Ken Lioen. "Aujourd'hui, par exemple, il n'y a pas de montant qui permet de dire que les gains ne peuvent plus être considérés comme un revenu divers, mais plutôt comme un revenu professionnel".

"Les critères sont à explorer dans la doctrine et dans la jurisprudence". Pour faire simple, il faut regarder à la fois dans la théorie et la pratique, à savoir les décisions de justice en la matière. "Par exemple, si on est un day trader, si on fait donc plusieurs transactions (achat et vente de Bitcoin, NDLR) par jour, si on fait un emprunt pour acheter des cryptomonnaies, si on injecte un partie importante de son patrimoine dans ces cryptomonnaies, les investissements seront considérés comme spéculatifs. On doit déclarer les gains et on sera taxé. Il faut donc faire une analyse factuelle".

L’ordre de grandeur joue aussi un rôle, tout comme l’importance de la valeur ajoutée par rapport aux fonds propres aussi. "Par exemple, celui qui a gagné 10.000€ avec un investissement de 1.000.000€ sera traité différemment qu’une personne qui a gagné 1.000€ avec la même somme d’investissement".

Un ruling qui complique tout

Pour compliquer le tout, en janvier, le 'service des décisions anticipées' (SDA) a publié une note en la matière. On appelle ça un ruling (rule signifie règle en anglais), soit "une décision par laquelle le SPF Finances détermine comment les lois d’impôts s’appliqueront à une situation ou à une opération bien précise qui n’a pas encore produit d’effets sur le plan fiscal" (définition du site du Service public fédéral).

Ce ruling (à retrouver dans ce PDF, page 3) précise qu'un investissement dans des cryptomonnaies ne peut pas être considéré comme un acte ou une gestion normale d'un patrimoine privé, et qu'il est nécessairement spéculatif: "Le SDA estime que les investissements en monnaies virtuelles possèdent généralement un caractère spéculatif et par conséquent, que les revenus provenant de ces investissements constituent des revenus divers, ou des revenus professionnels lorsque les revenus sont réalisés dans le cadre d’une activité professionnelle", peut-on lire dans ce document.

Tous ceux qui gagnent de l'argent via les cryptomonnaies sont donc taxés, alors ? Ce serait plus simple à comprendre, mais ça n'est pas le cas.

Pour notre expert, c'est de la théorie uniquement, sous la forme d'un genre de projet de loi qui serait à l'étude (d'où la notion de 'décision anticipée'). "Dans la pratique, je pense qu'il est possible d'argumenter pour prouver qu'il s'agit de la gestion normale d'un patrimoine privé. Par exemple, si on a investi il y a dix ans dans des bitcoins, et qu'on les vend aujourd'hui en réalisant des plus-values, ce n'est pas un investissement spéculatif car à l'époque, les bitcoins étaient nouveaux, et qu'ils représentaient une partie plus risquée dans un portefeuille d'investissement global".

Conclusion

On ne peut pas répondre catégoriquement à la question initiale de cet article, à savoir "Faut-il déclarer les gains issus de la revente de bitcoins, et quel sera le degré de taxation ?"

Le seul 'texte' officiel, une décision anticipée du Service Public Fédéral Finances (voir plus haut), considère que tout investissement dans des cryptomonnaies revêt un caractère spéculatif et qu'il est donc soumis à impôt, en le rangeant dans la catégorie 'Revenus divers' si vous êtes un particulier.

Pour autant, d'après l'avocat fiscaliste Ken Lioen que nous avons interrogé, c'est du cas par cas. Si vous parvenez à prouver que vos transactions fructueuses au niveau des bitcoins sont issues d'une gestion dite 'normale' ou 'de bon père de famille' d'un patrimoine privé, il ne faut pas déclarer ces gains, et donc pas payer d'impôt.

Pour résumer, si vous ne passez pas votre temps à acheter et vendre des actions, si vous n'êtes pas un investisseur (semi) professionnel, si vous avez effectué peu de transactions au niveau de la cryptomonnaie et sur une période relativement longue (pour ne pas donner l'impression d'être de la spéculation à court terme), vous ne devez sans doute pas déclarer de gains, et donc pas payer d'impôts.

Il est de toute façon peu probable que le fisc passe son temps à chasser les petits particuliers qui ont reçu des virements en provenance de leur portefeuille virtuel de bitcoins, même s'il a accès à ce genre d'informations.

À lire aussi

Sélectionné pour vous