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Catastrophe ferroviaire de Buizingen: le tribunal condamne Infrabel à une amende

Le tribunal correctionnel de Bruxelles a condamné, vendredi après-midi, Infrabel, le gestionnaire du réseau ferroviaire belge, à une amende pénale de 330.000 euros, avec sursis pour la moitié. Comme le tribunal de police en 2019, il a établi qu'Infrabel a commis des erreurs et des manquements ayant conduit à la catastrophe ferroviaire de Buizingen en 2010. L'entreprise ne se pourvoira pas en cassation.

Le 15 février 2010 à 08h28, un train local (train L) Louvain-Braine-le-Comte avait percuté un train InterCity (train IC) Quiévrain-Liège-Guillemins, à hauteur de Buizingen, dans l'entité de Hal (Brabant flamand). La collision avait fait dix-neuf morts, une trentaine de blessés graves et une centaine de blessés légers.

"Face à une catastrophe prévisible, Infrabel n'a pas agi comme tout gestionnaire de réseau prudent et diligent, une faute qui est en lien causal avec la collision", a jugé le tribunal correctionnel.

Le tribunal correctionnel de Bruxelles a considéré qu'Infrabel n'a pas agi comme tout gestionnaire de réseau prudent et diligent, une faute qui est en lien causal avec le grave accident de trains survenu à Buizingen le 15 février 2010. Sur les trois manquements imputables à Infrabel, gestionnaire du réseau ferroviaire belge, tels que présentés par le ministère public, le tribunal a considéré que deux étaient établis: l'absence de système de communication IOT et le manque de coordination avec la SNCB, opérateur du réseau. Le tribunal n'a pas suivi le ministère public en ce qu'il considérait que le non placement des aiguillages en position de sécurité était également une faute dans le chef d'Infrabel.

Un système de sécurité peu coûteux aurait pu éviter la catastrophe

Le système IOT avait été démonté lors de travaux en 1997 et non réhabilité ensuite. Infrabel estimait qu'elle n'était pas responsable de ce choix puisqu'elle n'a été créée qu'en 2005. Mais le tribunal a considéré qu'il s'agissait d'un moyen de sécurité peu coûteux qui aurait dû être envisagé par le gestionnaire du réseau ferroviaire. L'IOT est une installation lumineuse qui permet d'indiquer au conducteur d'un train que les opérations sur le quai sont terminées. L'IOT ne se met pas au blanc si le feu de signalisation pour le conducteur est rouge.

Les experts ont conclu que la catastrophe aurait très probablement pu être évitée si l'IOT avait été présent à Buizingen car le départ du train L., après son arrêt en gare de Hal, n'aurait pas été autorisé. Or, il est déjà établi que le conducteur du train avait oublié la position du feu de signalisation. Si, comme Infrabel l'a avancé, l'IOT ne fait pas partie de la signalisation, il s'agit toutefois d'une indication forte qui influence la vigilance du conducteur. C'est bénéfique à la sécurité et cela faisait donc partie de l'arsenal de mesures qui permettaient d'accroître la sécurité sur le rail, alors que le problème des franchissements de feux rouges était connu et en augmentationé, a argumenté le tribunal. Ce dernier a longuement rappelé qu'il est établi que la cause première de l'accident est le franchissement d'un signal rouge par le conducteur du train L., mais que ce problème était récurrent et donc prévisible par le gestionnaire du rail.

La Belgique était alors l'un des pays les moins bien équipés en matière en systèmes de freinage automatique

"L'histoire ferroviaire belge est malheureusement truffée d'accidents graves en raison du franchissement de signaux. C'est la principale cause des accidents majeurs. Et la problématique s'est aggravée au fil des ans. En 2010, il y a eu 130 franchissements de signaux. La Belgique était alors l'un des pays les moins bien équipés en matière en systèmes de freinage automatique et les accidents, nombreux, n'ont pas entraîné d'augmentation de sécurité du rail", a relevé le tribunal.

Manque de coordination entre Infrabel et la SNCB

Quant à la collaboration déficiente entre la SNCB, opérateur du réseau, et Infrabel, le gestionnaire, le juge relève notamment qu'Infrabel a eu "une vision à sens unique" sur le système de freinage automatique TBL1+. "La mise en place sur les voies du système TBL1+ était indiquée, mais encore fallut-il qu'il soit applicable sur le terrain, autrement dit que le matériel roulant en soit équipé aussi. Or, en février 2010, seules 22 automotrices sur 1.366 en étaient munies. Infrabel ne pouvait ignorer que sans équipements adéquats des trains de la SNCB le TBL1+ n'avait aucune utilité", a affirmé le tribunal.

Il a par ailleurs parlé d'une "culture de sécurité" absente tant au niveau de la SNCB que d'Infrabel.

La question de la position des aiguillages

Le tribunal n'a par contre pas suivi le ministère public en ce qu'il considérait que le non placement des aiguillages en position de sécurité était également une faute d'Infrabel. "Il ne fait aucun doute, pour les experts, que si le positionnement des aiguillages en mode de protection avait été enclenché, la collision aurait pu être évitée. Mais est-ce une faute d'Infrabel de ne pas l'avoir fait ? Le tribunal partage la position de l'entreprise, qui a exposé que ce positionnement en mode de protection doit faire l'objet d'une analyse d'ensemble, auquel cas on ne fait que déplacer le problème. On peut s'interroger sur le fait qu'aucune étude n'a été réalisée sur le sujet mais on ne peut raisonnablement reprocher à Infrabel de ne pas avoir fait ce choix, sans connaître l'impact qu'une déviation aurait eu sur le reste du trafic. Il subsiste un doute quant au caractère fautif de ce choix", a estimé le tribunal.

La chronique d'une catastrophe annoncée

Pour la détermination de la peine et de l'octroi d'un sursis, le tribunal a tenu compte du fait que "la santé de centaines de personnes a gravement été mise en péril" et que l'accident était "la chronique d'une catastrophe annoncée".

Il a néanmoins pris en considération l'ancienneté des faits ainsi que la preuve d'Infrabel de son amendement et de sa volonté d'agir pour éviter d'autres catastrophes. L'entreprise condamnée a déjà indiqué qu'elle ne se pourvoira pas en cassation.

En décembre 2019, le tribunal de police de Bruxelles avait condamné la SNCB, opérateur du réseau ferroviaire belge, et Infrabel, gestionnaire du réseau, à des amendes pénales de 550.000 euros pour avoir commis de graves fautes en matière de sécurité, ayant conduit à la collision de deux trains à Buizingen, en février 2010. Le tribunal avait alors également établi que le conducteur du train L. - celui qui n'a pas respecté sa trajectoire - avait manqué d'attention et outrepassé un feu rouge, endossant également une part de responsabilité, bien que moins importante. Après avoir appliqué le principe de décumul des responsabilités - le conducteur étant employé par la SNCB, personne morale qui a commis une faute plus grave - le tribunal n'avait pas prononcé de peine à l'égard de celui-ci. Seule Infrabel avait ensuite interjeté appel du jugement.

On va pouvoir enfin passer à autre chose

"C'est l'épilogue ! Ça y est, on va pouvoir enfin passer à autre chose. C'est la fin du combat judiciaire. Ça a été éreintant, épuisant, donc en effet c'est un gros soulagement", a déclaré Geneviève Isaac, victime de la catastrophe et partie civile au procès. "Il y a des mots qui ont fait énormément de bien dans ce jugement. L'expression 'chronique d'une catastrophe annoncée', c'est ce que nous disons depuis dix ans, qu'en effet c'était tout à fait prévisible. L'argumentaire est hyper pointu. Je suis très reconnaissance d'un tel jugement", a-t-elle confié.

"J'espère que de tels accidents ne se reproduiront plus jamais. Cela fait maintenant dix ans que cela s'est passé, et entretemps il y a eu des changements dans l'administration de la SNCB et d'Infrabel. Il y a eu aussi le rapport d'expertise et la commission parlementaire qui ont mis la pression sur les organismes SNCB et Infrabel. Donc je pense que les choses sont en train de changer. Mais on n'est pas à l'abri d'une autre catastrophe, car l'erreur humaine existe toujours et ça, c'est quelque-chose qui est difficilement prévisible. C'est pourquoi l'implémentation du système TBL1+ et ECTS sont primordiaux à l'heure d'aujourd'hui sur le rail. Notre combat n'aura pas été vain", a-t-elle encore dit.

La réaction d'Infrabel au jugement

"On peut presque dire que s'il y avait eu une décision comme celle-là, motivée de cette manière-là, en première instance, nous aurions sans doute décidé de ne pas interjeter appel, même si nous ne sommes pas d'accord sur tout", a réagi Me Laurent Kennes, avocat d'Infrabel, vendredi soir, à l'issue du jugement en appel de la catastrophe ferroviaire de Buizingen.

"Je peux déjà annoncer qu'il n'y aura pas de pourvoi en cassation. Cette une décision a été prise notamment par le CEO d'Infrabel, qui ne souhaite pas prolonger le débat", a ajouté Me Kennes. Ce dernier s'est dit satisfait de la motivation du jugement, au regard du premier rendu par le tribunal de police en 2019, et notamment d'avoir été suivi sur un point. "Ce qui concernait la circonstance qu'il aurait fallu instaurer un système de mise en place de protection par les aiguillages, et qui avait été retenu comme une faute par le premier juge, n'a pas été repris. C'est évidemment notre satisfaction première car c'était le premier motif de notre appel. Respecter une décision, ce n'était pas possible par rapport au jugement qui avait été rendu par le tribunal de police. C'est possible ici. Le premier jugement était motivé de telle sorte que cela posait une vraie difficulté, qui nécessitait un appel", a affirmé l'avocat.

"On a entendu des mots très durs dans le jugement prononcé aujourd'hui mais aussi énormément de respect du tribunal qui constate tous les actes qui ont été posés depuis 2010 par Infrabel, qui constate qu'on est 11 ans plus tard, qui prononce une peine moins importante et qui n'impose pas des choses absurdes et impraticables à Infrabel", s'est exprimé Me Kennes.

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