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Procès des écoutes perdues: la Cour d'appel pointe de graves irrégularités

Avec plus de 90 cartons, l'affaire judiciaire était un véritable dossier mammouth. 37 prévenus comparaissaient lors du premier procès au Tribunal correctionnel de Charleroi et une dizaine en appel, à Mons. Il s'agit d'une affaire d’organisation criminelle active dans la culture de cannabis à grande échelle. Très rapidement, le fond du dossier a été éclipsé par des problèmes en terme de procédure et d’impartialité des enquêteurs. RTL INFO révélait par exemple, quelques jours avant le procès, que des écoutes téléphoniques avaient disparu des cartons. C’était le début d’un fiasco pour le Parquet général de Mons. Un dossier qui a trouvé sa conclusion cette semaine avec une décision longuement motivée par la Cour d’appel. Un arrêt de principe exceptionnel qui rappelle que, dans une enquête, tout n’est pas permis.

Les enquêteurs et le juge d'instruction ont fait preuve de partialité

Dans son arrêt d’une centaine de pages, la Cour d’appel de Mons a remis très clairement en question l’enquête menée contre une organisation criminelle qui se développait dans la culture et le trafic de cannabis. L’instance judiciaire a pointé du doigt des irrégularités importantes. Des manquements qui, au final, ont bénéficié aux principaux accusés. Avec, par exemple, 5 ans de prison au lieu des 12 ans demandés par le Ministère public pour J.SE, le dirigeant présumé et l’acquittement pour F.S, le numéro 2.

Dès le premier procès, la perte de certaines écoutes avaient été signalée. Des éléments de preuves importants que la défense doit pouvoir consulter.

Ensuite, muni d’un dispositif sonore léger, le célèbre avocat Jean-Philippe Mayence avait démontré que certaines retranscriptions d’écoutes directes réalisées par les enquêteurs ne correspondaient pas aux enregistrements entendus.

Il insiste également sur le fait que la présomption d’innocence concernant son client n’a pas été respectée. Suite, notamment, à ces observations, le ténor du barreau a demandé à ce que soit retenue l’irrecevabilité des poursuites. La Cour d’appel n’a pas été jusque là mais a néanmoins pris ses responsabilités en donnant raison à l’avocat et à son client sur plusieurs points: "A l’examen du dossier répressif, force est de constater que c’est de bon droit que le prévenu J.SE soutient que les enquêteurs et le juge d’instruction ont été convaincus de sa culpabilité et que la présomption d’innocence a été, de manière répétée, bafouée et qu’il existe un risque réel de partialité. (…) La manière dont les questions sont posées et dont les réponses sont accueillies démontrent que tant le juge d’instruction que les enquêteurs privilégient uniquement l’hypothèse de la culpabilité du prévenu", note-t-elle.

Contacté par RTL INFO, Jean-Philippe Mayence ne cache pas sa satisfaction face à un arrêt historique: "La Cour d’appel a stigmatisé la violation majeure des droits de la défense et la violation de la présomption d’innocence. Elle a annulé les interrogatoires et de très nombreuses pièces qui avaient été faits tant par les enquêteurs que par le Juge d’instruction ce qui, je pense, n’était pas encore arrivé dans les annales judiciaire pour un Juge d’instruction. Les magistrats ont estimé qu’on avait refusé complètement d'analyser d’autres pistes et surtout qu’on avait mis en exergue uniquement les éléments à charges".

De véritables trucages utilisés par des officiers de la police fédérale

La Cour d’appel a estimé qu’il fallait donc écarter toutes une série d’éléments de preuve au bénéfice des prévenus. L'instance a donc "nettoyé" le dossier et ne s’est basé que sur des preuves non entachées de partialité pour prendre sa décision.

L’avocat Me. Fabian Lauvaux a obtenu l’acquittement de son client. Un suspect qui était pourtant considéré comme le numéro deux de l’organisation: "Les problèmes de régularité et de fiabilité ont grandement impacté cette enquête ! La cour a au final constaté l'absence d'élément probant prononçant ainsi l'acquittement total de mon client et confirmant ainsi la décision prise en première instance".

Me. Olivier Martins était également monté au créneau durant les débats pour dénoncer les méthodes utilisées lors des investigations. Son client a écopé d’une peine de quatre ans (contre huit lors du premier procès) mais l’avocat estime que la Cour d’appel a envoyé un signal fort: "Pour moi, la Cour prend soin de rappeler au juge et aux enquêteurs que leurs méthodes sont contraires au droit. Le juge d’instruction est remis en cause quant aux méthodes inacceptables utilisées par cette équipe d’enquêteurs qui n’avait que l’hypothèse de la culpabilité. Et ici il s’agit de véritables trucages utilisés par des officiers de la police fédérale, ce qui est encore plus grave. Mais surtout, le juge a couvert et encouragé. Moi c’est cette façon de juger que je combats. La Cour d’appel de Mons la réprouve également, ce qui me permet de croire encore en cette vertu cardinale rendue par des femmes et des hommes agissant au nom d’une administration".

Des preuves issues des téléphones cryptés écartées

Autre retournement de situation, la Cour d’appel a balayé certains éléments de preuves liés aux téléphones des suspects utilisant la messagerie cryptée PGP (Pretty Good Privacy).

Pour la première fois, en collaboration avec les Pays-Bas et le Canada, la justice belge avait pu obtenir et enquêter à partir de ces données censées être protégées.
Un joli coup…mais certains éléments (trois cartons) ont du être écartés par la Cour d’appel, suite à des problèmes d’irrégularité comme l’explique le ténor Jean-Philippe Mayence: "Ils ont voulu aller trop vite en fin d’instruction. Pour une partie des pièces, ils avaient oublié de transmettre l’ensemble des ordonnances qui permettaient de vérifier la procédure et de savoir si le Juge d’instruction était valablement saisi de toutes ces données qui provenait de l’étranger".

Notons que c’est le même genre de téléphonie cryptée que le Parquet fédéral a réussi à infiltrer dans l'énorme dossier Sky ECC. Des investigations concernant une organisation active dans le trafic international de cocaïne et qui passe en Belgique par le port d’Anvers. Un coup de filet historique qui démarre avec l’utilisation par les enquêteurs des données contenues dans les téléphones cryptés des suspects. Il est fort à parier que dans cette affaire également, les avocats de la défense seront particulièrement attentifs à la régularité des procédures concernant la récolte de la preuve.

Concernant le dossier de Charleroi, le mammouth a accouché d’une souris. Une réalité qui passe mal au vu des importants moyens financiers, policiers et techniques ou encore en terme de sécurité dévoués à une enquête qui est désormais pointée du doigt par une des plus hautes instances du pays.

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