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Les fortes chaleurs donnent-elles de grands vins ?

L'année 2018 constituera-t-elle un grand millésime ? Quel rôle jouent chaleur et sécheresse pendant l'été ? Nous avons posé la question à deux sommeliers et un vignerons belges ainsi qu'à la représentante du conseil des Vins de Bordeaux.

Une vague de chaleur a déferlé sur la Belgique durant ce mois de juillet, et les températures ont atteint des records à certains endroits. Les jeudi 26 et vendredi 27 juillet ont été par exemple les plus chauds jamais enregistrés chez nous. Jeudi, le mercure est monté jusqu'à 35,4°C à l'Observatoire d'Uccle, et même à 37,4°C à Retie, en Campine anversoise. Le lendemain, on a même atteint 38,2° à Zelzate en Flandre orientale. 

Les agriculteurs souffrent de cette sécheresse qui met à mal leurs cultures ou leurs finances (avec d'importantes dépenses en eau). Mais qu'en est-il pour les vignerons?

"En 1949, il faisait aussi chaud et les vins de Saint-émilion (un vin rouge français faisant partie du vignoble de Bordeaux) ont été exceptionnels", se rappelle Yvon qui nous a contactés via le bouton orange Alertez-nous.

Alors, les conditions de sécheresse donnent-elles les plus grands millésimes?

Pour tenter de répondre à cette question, nous avons contacté plusieurs experts qui nous ont d'abord expliqué ce qu'est, selon eux, un "grand vin".

On va avoir des grands vins qui vont faire plaisir à 30 euros ou à 500 euros

C'est quoi un "grand vin" ?

"Un grand vin est quelque chose qui vous fait plaisir. Que ce soit un rosé au bord d’une piscine avec des amis ou un grand Côte du Rhônes voire un Languedoc. Le principal est de se faire plaisir", estime Xavier Ide, président et sommelier au Vignoble du Bois des Dames (à La Hulpe, dans le Brabant wallon). "Le vin est un produit de passion avant tout. On ne va pas boire des étiquettes pour le plaisir des étiquettes. On va avoir des grands vins qui vont faire plaisir à 30 euros ou à 500 euros. Il n’y a pas de limites dans un sens comme dans un autre. La notion de plaisir est compliquée tout comme la notion de grand vin."

Selon Alain Dirick, un vigneron qui produit du raisin depuis une dizaine d’années au Clos Bois Marie (à Huy, en province de Liège), un vin exceptionnel doit être "concentré et avoir du corps. Pour que ce soit le cas, il faut qu'il fasse bien sec avant la vendange. Le climat joue un rôle important mais le travail du vigneron qui va vivifier le vin l'est tout autant. Mais, il y a pleins d’autres facteurs qui jouent."

De son côté, Dominique Gobert, sommelier et gérant de la Maison Mostade Gobert (à Erquelinnes, dans la province de Hainaut), un grand millésime provient avant tout "d'un bon terroir accompagné d'un très bon vigneron", souligne-t-il d'emblée. "Il faut avoir le respect du sous-sol. Je suis farouchement pour la culture bio et la biodynamie (les vignerons se fient dans ce cas-ci aux cycles des astres de la lune pour certains travaux dans leurs vignes)."

Il ajoute: "Il faut donc faire face au climat avec des cépages adaptés et un terroir argilo-calcaire. C’est souvent très bon quand il y a plus de calcaire que d’argile. Un grand vin n’est par ailleurs pas forcément une grande étiquette. Il y a maintenant des grands vins un peu partout."


Un bon niveau de sucre et pas trop d’alcool

Enfin, Cécile Ha, la responsable presse du conseil interprofessionnel du Vin de Bordeaux, a également sa définition d'un "grand vin".

"C'est un vin avec une bonne maturité et un bon niveau de sucre dans lequel, il n’y a pas trop d’alcool. La difficulté est qu’aujourd’hui, en allant vers des climats très chauds, il va falloir produire des vins très alcoolisés, ce qui n’est pas du tout l’identité des vins de Bordeaux (12-13° et non 14,5° comme chez d'autres producteurs)", confie-t-elle. "Selon moi, un bon millésime c’est quand il y a eu un bon développement du raisin qui permet la meilleure extraction aromatique possible. Pour ça, il faut que la vigne soit heureuse. Quand on a des périodes avec plus de chaleur et moins d’humidité durant les vendanges, cela favorise les grands millésimes."



De grands millésimes cette année? Toutes les conditions sont réunies

Toutes les conditions sont ainsi réunies pour avoir de grands vins cette année, mais "ce n’est pas une garantie", prévient Xavier Ide. "Avoir trop de soleil va faire en sorte qu’on va avoir un déséquilibre au niveau de l’acidité dans le raisin et on aura alors impérativement besoin d’eau."

La plante va alors avoir ce qu’on appelle un stress hydrique, ce qui arrive quand la demande en eau dépasse les ressources disponibles. "On risque donc d’avoir une perte de qualité, une perte de grosseur dans les raisins car, il y a entre 75 et 80% d’eau dans ce fruit. On risque aussi d’avoir de tous petits raisins et une plante relativement dure, ce qui pourrait donner à terme un vin un peu plus amer que la normale", précise-t-il.


"Un temps exceptionnel pour la Belgique"

Le climat actuel est malgré tout "exceptionnel" pour les vignerons belges qui profitent pleinement de leurs terres et de leur situation géographique.

"En Belgique, les conditions climatiques pourront certainement offrir de grands vins, mais dans toute la France, en Italie ou en Espagne, je ne suis pas sûr à 100%, que ça sera un millésime cette année", estime Dominique Gobert. "Pour le vigneron belge, c’est un temps exceptionnel. En Belgique, les nappes phréatiques sont plus remplies que dans le sud de la France. La même sécheresse là-bas serait dangereuse."

"Chez nous, pour une fois, les racines vont aller plus loin dans le sol et trouver ce qu’il leur faut. Tout est ok pour le moment, mais les vignerons ne sont pas encore à l’abri d’un orage exceptionnel. A cette époque-ci, on n’est sûr de rien. Pour la vigne, je ne me fais pas de soucis à l’heure actuelle, car c’est une des plantes les plus résistantes. Ne fait-il pas trop sec avec les températures actuelles? S’il y a une pluie durant le mois d’août, elle sera la bienvenue."

Dans la Hesbaye liégeoise, une sous-région naturelle de la Hesbaye, Alain Dirick se réjouit lui de voir l'état de ses vignes après ce mois de juillet. "Quand on voit notre région, ici, les vignes n’ont pas du tout l’air de subir la sécheresse. Elles sont en bonne forme et pourraient amener de grands millésimes. Sur des terres beaucoup plus pauvres ou plus rocailleuses voire sablonneuses, les feuilles dessèchent et les raisins sont petits, ce qui réduit les chances d'avoir un millésime", déclare-t-il.

Les 5 à 6 semaines avant la récolte seront cruciales. "Si après le 15 août, il commence à pleuvoir fortement, les raisins vont se gorger d’eau et vont diluer leurs arômes et leurs acides. Ils risquent d’éclater et d’attraper des maladies comme le botrytis. Donc rien n’est encore joué. Il faudrait qu’il continue à faire sec jusqu’aux vendanges pour dire d’avoir un vin de très grande qualité et que la vigne n’ait pas souffert entre-temps de la sécheresse."


"Il y a 20 ans, on cherchait une sur-maturité du raisin"

En France également, on jette un regard positif sur les conditions climatiques actuelles. Notamment dans le vignoble de Bordeaux, en Gironde, car la vigne est une plante qui "aime la chaleur", comme l'explique Cécile Ha.

"Avec la météo de ce mois de juillet, on est plutôt très bien du côté de Bordeaux. La plante, en particulier le blanc, a besoin d’un petit stress hydrique pour développer les arômes donc quand on est dans des conditions de bonnes chaleurs, c’est l’idéal. Mais comme dans tous les domaines, il faut que les choses soient modérées. Si on a trop de stress hydrique, cela va aller en défaveur du bon développement de la plante et des raisins. La limite est assez fragile", précise-t-elle.

Elle met par ailleurs en avant les bienfaits jusqu'à présent des changements climatiques sur les vignes et plus particulièrement du réchauffement climatique. "Aujourd’hui, on va vers des températures plutôt hautes et jusqu’à présent celui-ci a été favorable au vin de Bordeaux. C’est un vrai enjeu d’avoir des bonnes conditions climatiques. Un bon raisin est un raisin qui est mûre "à point". Il y a 20 ans, on cherchait une sur-maturité. Aujourd’hui, on est revenu sur des maturités un peu meilleures. On a donc besoin de soleil et de ces bonnes températures jusqu’aux vendanges pour ramasser du raisin à bonne maturité."


Le rôle du vent

Vous l'aurez compris, l'apport du soleil sur le développement du raisin est plus que bénéfique, mais Cécile Ha dit qu'il ne faut pas négliger le rôle joué par le vent. "On en a besoin. On pense souvent au soleil mais le vent est capital. Il permet d’avoir une vendange saine. La nuit, il y a toujours de l’humidité qui vient se mettre dans les raisins et le vent permet d’assécher les vignes durant la journée et d'avoir des raisins fins."



Mais finalement, quelles sont les conditions climatiques optimales pour avoir un grand vin?

Le vigneron Alain Dirick rappelle globalement les éléments qui doivent être réunis tout au long de l'année.

"La température doit être suffisante durant l’année pour que le raisin arrive à maturité. Il faut des températures supérieures à 18 degrés pendant une centaine de jours. Ces dix dernières années, on y est facilement arrivé, mais je me souviens des années 80-90 où ce n’était pas toujours le cas. On avait des étés très frais et à la Toussaint, le raisin n’était pas encore arrivée à maturité. Il faut par ailleurs surtout qu’il fasse sec, le mois avant les vendanges (normalement début octobre mais selon Alain Dirick, elles pourraient avoir lieu cette année début septembre)."


Les vignerons espèrent quelques précipitations en août

Pour Xavier Ide, il faut autant de soleil que d'eau pour obtenir un raisin riche en arômes et, à la Hulpe, le Vignoble du Bois des Dames est plutôt bien loti à ce niveau-là. "Nous avons la chance d’avoir sous le vignoble une nappe phréatique donc on n’est pas vraiment impactés par le stress hydrique et la chaleur, mais il y a un tas de vignobles qui risquent d’avoir de gros soucis par manque d’eau cette année."

Ces derniers espèrent ainsi quelques précipitations dans les prochains jours. "Il faut vraiment qu’on ait de l’eau maintenant et pas du tout au moment des vendanges, car si on en a au moment des vendanges, il risque d’y avoir un peu de pourriture qui va se développer entre les grains. On avait programmé les vendanges pour fin septembre mais vu l’évolution de la situation, on va devoir les avancer de 2 à 3 semaines. Si le temps reste comme cela, on devra le faire lors de la dernière semaine d’août."

Cécile Ha insiste elle surtout sur le contraste entre les températures durant la journée et les températures durant la nuit. "Celui-ci doit être assez fort pour développer les arômes. Il faut des températures chaudes durant la journée mais pas extrêmes pour qu’il n’y ait pas trop de stress hydrique. Enfin, il faut des vignes aérées grâce à un vent modéré pour permettre une vendange saine. Les conditions actuelles sont plutôt bonnes car on a un été avec 25-30 degrés tous les jours. Les raisins se développent donc très bien."


"L’idéal est d’avoir un bon hiver"

L'été sec et chaud est favorable pour la viticulture mais les mois précédents ont aussi été propices, indique le sommelier Dominique Gobert qui fait lui un zoom sur l'année "idéale" pour les vignerons. 

"L’idéal est d’avoir un bon hiver car, ça commence par-là, avec 5 à 10 jours de très bon gel en février. Ensuite, le printemps doit idéalement être ensoleillé mais avec des périodes de pluie. Si on a un mixte des deux entre mars et juin, ce n’est pas trop mal", explique-t-il. "Il faut qu’en juillet, il fasse beau et chaud et durant le mois d’août, il peut pleuvoir du 15 au 25 août. En espérant un mois de septembre chaud et sec avant la récolte", conclut-il.

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