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Dieudonné en garde à vue, Charlie Hebdo adulé: la liberté d'expression aurait-elle des préférences ?

Pour de nombreuses personnes, une question se pose depuis quelques jours: alors que la liberté d'expression est actuellement sacralisée suite au massacre de la rédaction de Charlie Hebdo, pourquoi Dieudonné a-t-il été placé en garde à vue suite à un message (très provocateur) sur Facebook ? Le journal français Le Monde apporte de précieux éléments de réponse.

Depuis les attentats de Paris, dont les premiers évènements furent le massacre d'une grande partie de la rédaction du journal satirique Charlie Hebdo, la liberté d'expression est au cœur de nombreux débats et conversations.

Des discussions d'autant plus vives qu'à peine quelques jours après la mort de plusieurs dessinateurs et journalistes, Dieudonné, humoriste très controversé car ouvertement antisémite, n'a pas hésité à dire sur les réseaux sociaux qu'il se sentait "Charlie Coulibaly", du nom de l'auteur des autres attentats de Paris. Une déclaration qui l'a envoyé en garde à vue quelques jours. Il devra comparaître pour apologie du terrorisme le 4 février à Paris.

Du coup, de nombreuses personnes de tout âge et tout bord se sont posé cette question: "Pourquoi Dieudonné est-il attaqué alors que Charlie Hebdo peut faire ses 'Unes' sur des caricatures parfois osées de la religion"? Le journal Le Monde tente de fournir quelques réponses. Voici un petit résumé de l'article rédigé par Damien Leloup et Samuel Laurent.

La liberté d'expression est un "principe absolu"

En France comme en partout en Europe, la liberté d'expression n'est pas qu'une idée: c'est un principe absolu consacré par plusieurs textes fondamentaux. Déjà dans la Déclaration des droits de l'homme de 1789, on pouvait lire: "La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi".

Il existe également une convention européenne des droits de l'homme, qui confirme : "Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence (c’est-à-dire intervention ou interdiction, NDLR) d'autorités publiques et sans considération de frontière".

Mais elle a des limites

La liberté d'expression n'est pas totale et illimitée. Comme bon nombre de libertés, elle respecte le vieux principe: "Ma liberté s'arrête là où commence celle des autres".

Dans la convention européenne, on peut donc lire: "L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire".

Concrètement, "en France", rappelle Le Monde, "les principales limites à la liberté d'expression relèvent de deux catégories : la diffamation et l'injure, d'une part ; les propos appelant à la haine, qui rassemblent notamment l'apologie de crimes contre l'humanité, les propos antisémites, racistes ou homophobes, d'autre part".

Web = livre, mais...

Toujours en France, des textes de lois rappellent que ce qui est écrit sur le web équivaut à ce qui est écrit dans la presse ou dans un livre. Donc théoriquement, on peut être condamné de la même manière pour un message sur Facebook que pour un paragraphe dans un livre.

L'éditeur du livre ou le responsable du service web utilisé est également considéré comme responsable. En France, cependant, les grands réseaux sociaux que sont YouTube, Facebook ou Twitter, disposent d'un régime spécifique: ils ne sont condamnés que s'ils ne suppriment pas un contenu signalé comme contraire à la loi dans un délai raisonnable.

De plus, comme vous l'imaginez, Facebook et Twitter sont des entreprises américaines, dont les règles d'utilisation ont été conçues sur le modèle américain de la liberté d'expression, qui est beaucoup plus libéral que le droit français. Aux Etats-Unis, le premier amendement de la Constitution, qui protège la liberté d'expression, est très large. "De nombreux propos condamnés en France sont donc légaux aux Etats-Unis", rappelle Le Monde.

Et l'humour, alors ?

Les propos de Dieudonné ou les caricatures de Charlie Hebdo ont trait à un autre type de question, celle de l'humour et de ses limites. Un cas assez complexe, vous allez le voir.

La jurisprudence (c’est-à-dire le droit basé sur l'expérience des décisions de justice précédentes) française consacre en effet le droit "à l'excès, à l'outrance et à la parodie" lorsqu'il s'agit de fins humoristiques.

En 1992, un tribunal parisien estimait que la liberté d'expression "autorise un auteur à forcer les traits et à altérer la personnalité de celui qu'elle représente". Ce qui légitimise en quelques sortes les caricatures du prophète Mahomet par Charlie Hebdo en France.

Mais là encore, écrit Le Monde, "il appartient souvent aux juges de décider ce qui relève de la liberté de caricature et du droit à la satire dans le cadre de la liberté d'expression". Tout dépend donc du procès et de son issue, pour peu qu'une plainte soit déposée.

En 2005, Dieudonné avait été poursuivi pour être apparu dans une émission de France 3 déguisé en juif ultrareligieux, et pour avoir ensuite tenu des propos aux relents antisémite. Poursuivi par des associations, il n'avait pas été condamné, le tribunal estimant qu'il restait dans le registre de l'humour.

Conclusion: Dieudonné est sorti du cadre de l'humour

Contrairement à ses spectacles, aussi antisémites soient-ils (le dernier à Strasbourg n'a d'ailleurs pas été interdits le week-end dernier), la dernière sortie provocatrice de Dieudonné sur Facebook, "Je me sens Charlie Coulibaly", est considérée comme "une apologie de crimes contre l'humanité", et sort donc du cadre de la liberté d'expression, même dans ses limites repoussées par le principe de l'humour. C'est pour cette raison qu'il a été placé en garde à vue (et sans doute aussi à cause du contexte social très sensible qui régnait en France le 9 janvier dernier). Une procédure judiciaire décidera de son sort à partir du 4 février prochain.

Charlie Hebdo, lui, est un habitué des procès: environ 50 entre 1992 et 2014, dont certains perdus. Il n'est donc pas "protégé" par la justice française. Mais dans le cadre des caricatures du prophète Mahomet, le journal satirique n'a pas dépassé les limites du droit français, un état laïc ou le blasphème n'existe pas. La conclusion du procès de 2007 était d'ailleurs: "en dépit du caractère choquant, voire blessant, de cette caricature pour la sensibilité des musulmans, le contexte et les circonstances de sa publication dans le journal Charlie Hebdo, apparaissent exclusifs de toute volonté délibérée d'offenser directement et gratuitement l'ensemble des musulmans: les limites admissibles de la liberté d'expression n'ont donc pas été dépassées (...)".

Même si la laïcité de l'état est plus marquée en France, le droit belge au sens large a de nombreux points communs avec son voisin français, la Révolution français ayant consacré des principes largement adoptés dans les démocraties européennes. De tels évènements auraient donc, probablement, les mêmes épilogues dans notre royaume.

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