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Louis "révolté" par des vols entre... Liège et Bruxelles: pourquoi certains avions effectuent-ils encore des "sauts de puce" ?

Louis s’est indigné vers la mi-septembre, constatant qu’un avion a relié les aéroports de Liège et de Zaventem. Le quinquagénaire habite "sur le couloir d’accès" de l’aéroport liégeois, nous a-t-il expliqué après avoir contacté la rédaction de RTL info via le bouton orange Alertez-nous. Il voit donc un grand nombre d’avions passer au-dessus de son habitation et se plaît à les suivre sur l’application flightradar24.

Pour le vol Bruxelles-Liège, "c’est ma fille qui me l’a fait remarquer", précise Louis. "J’ai déjà remarqué que FedEx faisait des trajets Cologne-Liège", ajoute-t-il.

Ces vols à (très) courte distance interrogent le postier. "J’ai entendu que le gouvernement wallon n’acceptait pas les vols courtes distance."

Qu’en est-il vraiment ?

Entre le 12 et le 14 septembre, deux vols de la compagnie ASL Airlines Belgium (transport de marchandises et de passagers) ont bien relié les aéroports de Liège et de Zaventem. 

Pour Louis, voir que ces vols ont lieu, "c’est aberrant surtout dans le contexte actuel". "Ce n’est pas 50 litres que les avions consomment, c’est ça qui me révolte".

Dans les deux cas cités par notre témoin, les distances entre les aéroports sont les suivantes : Liège-Bruxelles 90km, Liège-Cologne 130km. Des vols que l’on peut qualifier de ‘saut de puce’ :

Nous avons contacté FedEx, géant américain du transport de marchandises. "FedEx n'opère pas de vol permanent domestique entre les aéroports de Bruxelles et de Liège ou entre Liège et Cologne", nous affirme la société. Cependant, "il est parfois nécessaire de repositionner un avion à un autre endroit pour le maintien des capacités de la flotte", ajoute FedEx. 

De son côté, ASL Airlines Belgium nous donne l'explication suivante : "Il s'agit d'un vol de maintenance. Nous n'avons pas les capacités de la faire ici à Liège donc l'avion rejoint Bruxelles pour une révision. Ce n'était pas un vol commercial. Nous n'opérons pas de vols à courtes distances, ce n'est intéressant ni économiquement, ni écologiquement et ni pour nous ni pour le client."

Un saut de puce, qu’est-ce que c’est ?

L’attribution ‘saut de puce’ est généralement donnée à des vols de moins de 500km. Il peut s’agir de vols commerciaux, transportant des passagers et/ou du fret (marchandises) d’un point à un autre, mais également d’autres vols "pour raison d’utilité", explique l’ancien pilote Pierre de Broqueville.

Il existe le principe des "vols de mise en place". "C’est quand un avion se trouve à un point A et qu’on a besoin de lui à un point B. Par exemple, un avion de TUI en provenance de Malaga se pose à Zaventem pour y déposer ses passagers puis on a besoin de lui à Charleroi pour un autre vol vers Rome", analyse l’ancien pilote. Dans l’exemple - purement théorique - de notre expert, l’avion effectuerait ainsi un vol ‘saut de puce’ entre Zaventem et Charleroi entre deux trajets 'normaux', plus longs.

Ce principe est surtout d’application pour les vols passagers, mais les vols de frets ne sont pas en reste. Les avions-cargos peuvent eux aussi faire des ‘sauts de puce’. L’exemple le plus populaire remonte à 2019 lorsqu’un vol de Qatar Airways entre Liège et Maastricht avait largement été pointé du doigt.

"Si le client exige qu’une partie de sa marchandise soit déposée à Liège et l’autre à Maastricht, le transporteur se doit d’honorer l’accord"

À l’époque, l’opérateur avait justifié ce vol de 38 km par une clause du contrat qui le liait avec un client néerlandais pour qui il effectuait ces vols. C’est précisément un des points avancés par Pierre de Broqueville pour expliquer ces vols ultracourts. "Ça dépend aussi du contrat entre le client et le fréteur. Si le premier exige qu’une partie de sa marchandise soit déposée à Liège et l’autre à Maastricht, le second se doit d’honorer l’accord qui a été passé. On pourrait faire le transport en camion, mais le client n’a peut-être pas envie que sa marchandise soit baladée. C’est aussi plus rapide de décharger la moitié (par exemple) de la marchandise à Liège et l’autre moitié à Maastricht que tout vider à Liège puis prendre le temps de charger des camions, qu’ils aillent dans les embouteillages, etc."

Concernant cette pratique, ASL Airlines Belgium nous affirme qu'elle n'est vraiment pas très courante et que, les concernant, ils n'effectuent pas ce type de vol. 

Les vols vides entre mythes et réalité

Pendant les années 2020 et 2021, l’aviation mondiale a connu une baisse d’activité sans précédent liée à la crise du Covid19. La quasi-totalité des avions européens s'est retrouvée clouée au sol et la reprise de l’activité s’est fait très progressivement.

Pendant cette période, les compagnies ont dû faire face à la réglementation qui ne tenait pas compte de la situation du moment.

Des avions ont été obligés de voler, parfois à vide, dans le but de "garder son slot", comme on dit dans le jargon. Il faut savoir que tout est millimétré dans un aéroport, surtout les horaires de décollage et atterrissage. Chaque compagnie a ses slots, plus ou moins avantageux, et pour les garder, elle doit les utiliser. Un avion doit donc impérativement décoller ou atterrir aux heures prévues, sans quoi la tranche horaire peut aller à un concurrent. C’est le principe du "use it or lose it", en français comprenez "utilise-le ou perds-le".

Cette situation grotesque n’a duré qu’un temps, "la Commission européenne a suspendu cette règle et introduit une exemption de créneaux pendant la crise sanitaire rendant les vols fantômes inutiles", informe le transporteur TUI.

En-dehors de cette parenthèse ‘covidienne’, Pierre de Broqueville assure que les avions ne volent jamais à vide. "Souvent, les cales des avions passagers ne sont pas remplies uniquement avec leurs bagages, mais une bonne partie de la soute est utilisée pour transporter des marchandises". Une pratique fortement utilisée notamment par la compagnie AirBelgium.

Il arrive que des vols soient parfois moins remplis, voire presque vides, mais alors le vol retour peut compenser un aller peu rentable tant sur le plan financier que sur le bilan carbone. Le pilote retraité nous partage un souvenir à ce sujet. "J’étais pilote de ligne et le soir de Noël, je devais faire un vol Bruxelles-São Paulo. L’avion ne comptait que 30 passagers et j’ai demandé si ça valait vraiment la peine de le maintenir. On m’a répondu que oui parce qu’au retour, il sera rempli. Effectivement, en repartant de São Paulo pour rentrer à Bruxelles, on ne savait plus mettre une personne de plus dans l’avion."

Et aujourd’hui ?

Il arrive que les compagnies aient besoin de faire faire des ‘sauts de puce’ à leurs avions, mais elles préfèrent l’éviter. Pour donner un exemple, la société TUI explique qu’elle utilise la technique des vols "triangulaires". Si un avion situé à Charleroi doit aller à Bruxelles, il ira desservir une destination à l’étranger et ira se poser à Zaventem à son retour. "De cette façon, nous évitons un court vol inutile en Belgique", confie la compagnie.

L’entreprise admet tout de même qu’"afin que l’entretien des appareils puisse être effectué, il peut arriver que des avions stationnés dans les aéroports régionaux soient acheminés vers le hangar de maintenance situé à Zaventem. Ce n'est le cas que pour des interventions majeures, car TUI fly dispose également d'infrastructures de maintenance dans les aéroports régionaux". Une situation qui reste donc bien spécifique.

Que dit la loi ?

Depuis 2006 et "l’affaire Jet4You", la Wallonie interdit les vols ‘saut de puce’ entre ses différents aéroports. À l’époque, la compagnie Jet4You voulait embarquer des passagers vers le Maroc en passant d’abord par un vol Charleroi-Liège. La Wallonie s’y est opposée et André Antoine, alors ministre en charge des Aéroports wallons, a fait interdire les "sauts de puce" de moins de 100 km.

Mais cette loi n’est valable "que" pour les vols commerciaux (passagers et fret). Les vols de mise en place, dont nous avons parlé plus haut dans cet article, ne sont pas concernés.

Et en termes de pollution de l'air ?

En Europe, en 2019, le transport aérien représentait presque 3,8% des émissions de gaz à effet de serre. Si on ne tient compte que des vols intra européen, le pourcentage tombe à 0,4%. Ces chiffres valent pour l’Europe des 27, sans la Grande-Bretagne.

Il est de notoriété publique que plus un trajet est court, moins il est intéressant de prendre l’avion d’un point de vue écologique. C’est pour cette raison que les sauts de puce sont si critiqués.

Le décollage et l’atterrissage sont les parties du vol qui consomment le plus d’énergie et donc qui polluent le plus. Dans ce sens, plus le vol est long, meilleure est sa rentabilité carbone.

Nos confrères français du journal Le Monde détaillent les différences d’émission entre les différents moyens de transport pour un trajet Paris-Marseille. Une personne seule en voiture rejettera 150 kg de CO2 durant son trajet. Avec un avion plein, l’empreinte carbone par personne monte à 77,5 kg de CO2.

Avantage à l’avion dans ce cas-ci, mais l’empreinte en voiture peut être réduite rapidement en fonction du nombre de personnes présentent dedans. Avec quatre passagers dans la voiture, leur empreinte par personne ne monte plus qu’à 37,4 kg. Et à l’inverse, si l’avion n’est qu’à moitié rempli, l’empreinte carbone des passager double et atteint 155 kg.

Sur ce même trajet (Paris-Marseille), un TGV plein émet seulement 0,9 kg de CO2 par passager et 1,8 kg s’il n’est qu’à moitié plein. Bref, très loin des standards de la voiture et de l’avion. Une petite nuance doit néanmoins être apportée : les trains roulent grâce à l'électricité, mais cette dernière est parfois produite par des énergies fossiles (comme le charbon) qui polluent énormément à la production. 

À titre d'exemple, en Allemagne, le charbon reste la principale source d'énergie (31,5%) devant l'éolien (30,1%) au premier trimestre de 2022. En Belgique, c'est le gaz qui nous fournit 25% de notre électricité

Dernière polémique en date

Le mercredi 5 octobre, nos confrères de l’Avenir lancent un nouveau pavé dans la mare avec un titre choc "Le retour des sauts de puce". On y apprend qu’une nouvelle compagnie aérienne va s’installer à l’aéroport de Charleroi. Volotea proposera "dès le début de l’hiver" des vols à bas coût vers la ville française de Lyon.  

"Sur ce genre de distance, l’avion émet 50 fois plus de CO2 que le train", précisent nos confrères de la presse locale.

Sachant que des trains relient déjà Bruxelles à Lyon en moins de 4h (3h30 pour les plus rapides) et pour moins de 100 euros, l’alternative du rail semble se suffire à elle-même.

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