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Menacée d’expulsion, cette famille salvadorienne de Houyet craint pour sa sécurité: "Si je retourne habiter là-bas, je serai obligé de me cacher"

Orlando, Maria et leur petite fille de 5 ans Sofia (prénom d'emprunt car la famille souhaite garder l'anonymat), ont reçu un ordre de quitter le territoire belge au mois de décembre dernier. Depuis le 20, ils sont en transit au centre ouvert de Mouscron avant un éventuel retour au Salvador, pays gangrené par la violence et les gangs. Malgré leurs inquiétudes, ils risquent un départ forcé au début du mois de février.

"Leur petite fille, Sofia, est un véritable rayon de soleil, elle rit tout le temps, et eux aussi sont tellement gentils", décrit Cindy Defosset, la directrice de l’école communale de Houyet (province de Namur) où était scolarisée Sofia depuis le mois de septembre 2019. "Je ne comprends pas comment une famille avec enfant puisse être renvoyée au Salvador alors qu’ils sont en danger là-bas… Je suis sous le choc", continue-t-elle. La directrice et l’équipe enseignante de l’école avaient ouvert une pétition, pensant jusqu’au dernier moment que la situation de la famille allait se régulariser. "On y a cru jusqu’au bout", souffle la directrice de l'école, très touchée par leur histoire.

J’avais des problèmes avec les gangs et leur chef. Ils me demandaient de l’argent à chaque fois

Orlando, Maria et leur petite fille sont arrivés au mois de mars 2019 en Belgique, fuyant la violence de leur pays d’origine, le Salvador. "Là-bas, j’avais des problèmes avec les gangs et leur chef. Ils me demandaient de l’argent à chaque fois, c’était comme si je louais ma vie", confie Orlando, jeune papa de 29 ans originaire de San Salvador, la capitale du pays. Cette pratique d’extorsion est courante et a obligé de nombreux habitants à quitter le territoire ou à vivre reclus dans leur domicile par peur de représailles.

Le Salvador, l’un des pays les plus meurtriers au monde

Avec 51 meurtres pour 100 000 habitants, et bien plus dans sa capitale, ce petit pays d’Amérique centrale détient des records de violence. Et si l’on exclut les zones de guerre, le Salvador est le pays le plus meurtrier de la planète, et San Salvador, la ville la plus violente au monde, d’après l’organisation internationale Human Rights Watch.

Ce nombre particulièrement élevé d’homicides est lié aux violences des maras, des gangs armés ultra-puissants qui "règnent" en rois sur le pays. Il y aurait plus de 70.000 membres de gangs, impliqués dans le crime organisé, le trafic de drogues, le trafic d’êtres-humains et les extorsions d’argent. Les plus connus, le Mara Salvatrucha 13 (MS-13) et leurs rivaux, les Barrio 18, sèment la terreur sur le Salvador et ses habitants. Ils forcent des filles à se prostituer, volent, rançonnent, et assassinent ceux qui osent leur résister.

Je suis sorti de ma maison avec ma femme et ma fille, et une voiture nous a bloqué la route (...) C’était des hommes du MS-13 avec beaucoup d’armes

La peur des gangs armés

Au Salvador, Orlando était gérant d'un restaurant. Pendant 7 ans, il s'est occupé de la gestion administrative et du personnel, raconte-t-il. Si Orlando et sa famille ont quitté leur pays d’origine, c’est avant tout par peur, la peur des gangs qui terrorisent le pays mais aussi sa famille. "Un jour je suis sorti de ma maison avec ma femme et ma fille, et une voiture nous a bloqué la route", explique le jeune-homme. "C’était des hommes du MS-13... 4-5 personnes sont descendus de la voiture avec des armes, beaucoup d’armes, en me disant que le chef voulait que je lui donne de l’argent", raconte Orlando, angoissé à l’idée de retourner au Salvador avec sa famille car il sait que s'il refuse les demandes du puissant MS-13, les membres du gang n'hésiteront pas à le tuer.

"La violence est omniprésente et elle touche tout le monde", explique Diego Osorio à La Presse+, un média canadien. Pour ce spécialiste de l’Amérique latine, les gangs ont évolué jusqu'à être partout. "Ce ne sont plus simplement des jeunes avec des tatouages. Ce sont des juges, des parlementaires, des politiciens. Les gangs ont réussi à pénétrer les différents niveau du gouvernement." Ils contrôlent des collectivités entières, des quartiers, et même des villes. 

J’ai très peur de retourner habiter là-bas. Je serai obligé de me cacher pour éviter les gangs

A leur arrivée sur le territoire belge, Orlando, Maria et Sofia ont passé quelques semaines dans un centre pour demandeurs d’asile de la capitale. Ils ont introduit leur demande de protection le 25 mars 2019. Ils se sont ensuite rendus dans un logement social à Houyet, dans la province de Namur.

Depuis, la petite famille avait commencé sa nouvelle vie, brutalement stoppée le 20 décembre dernier lorsqu’ils ont reçu l’ordre de quitter le territoire et perdu leur logement dans la foulée. Depuis un mois, ils vivent dans un centre ouvert géré par Fedasil (agence fédérale pour l'accueil des demandeurs d'asile) à Mouscron, attendant leur expulsion fixée au 5 février prochain. Ils y ont passé les fêtes de fin d’année et leur fille Sofia y a eu 5 ans il y a quelques jours. "J’ai très peur de retourner habiter là-bas. Je serai obligé de me cacher pour éviter les gangs", regrette le jeune papa. "Mais le problème, c’est qu’à un moment je devrai sortir pour chercher du travail et de la nourriture pour ma famille", soupire-t-il.

Des enfants recrutés par les gangs jusque dans les écoles

"Ma fille pourra aller à l’école mais sans tranquillité de ma part. Parfois, les gangs partent dans les écoles et volent les enfants pour les recruter ou faire du business avec les personnes de Mexico", craint Orlando. Les jeunes représentent une cible parfaite pour les mareros (les membres des gangs) qui exploitent la misère et cherchent des jeunes en quête d’une position sociale et d’affection. 

Par ailleurs, au Salvador, la Constitution reconnaît le droit à l’éducation gratuite seulement de 4 à 6 ans. Il est commun de voir des enfants abandonner l’école à partir de 7 ans pour commencer à travailler dans ce pays fortement touché par la pauvreté où la moitié des enfants et adolescents vivraient avec moins de 1,25 dollar par jour. Les enfants ont généralement entre 9 et 12 ans lorsqu'ils entrent dans ces maras, et de plus en plus de jeunes filles sont également enrôlées.  

Demande d'asile: décision prise en fonction de l'histoire du demandeur et de l'examen de la situation de son pays

Malgré ce contexte, le Commissariat Général aux Réfugiés et aux Apatrides (CGRA) chargé d’examiner les dossiers des demandeurs d’asile en Belgique, a décidé de rejeter la demande de la famille. Le CGRA s'appuie sur l'histoire personnelle du demandeur et sur la situation du pays dont il est issu.

Des officiers de protection auditionnent les demandeurs d'asile pour qu'ils expliquent leur histoire. Et le CGRA détient "une connaissance approfondie" de la situation dans le pays d'origine "grâce au service de recherche d'une quarantaine de personnes qui établissent le contexte dans les pays d'origine".

"Il y a d'abord un critère juridique: toute personne doit être protégée si elle évoque une crainte fondée d’être violentée ou persécutée dans son pays d’origine", détaille Damien Dermaux, le porte-parole du CGRA. "Puis, cette crainte fondée de persécution repose elle aussi sur 5 critères: la race, la nationalité, les opinions politiques, la religion, et l'appartenance à un groupe social particulier comme les homosexuels par exemple qui peuvent être persécutés dans certains pays."

Orlando et Maria ont été reçu par les officiers de protection du CGRA le 14 novembre 2020. Après cette audition, et environ un mois plus tard soit au mois de décembre, ils ont reçu leur décision accompagnée de l'ordre de quitter le territoire. Et depuis, ils sont au centre ouvert de Mouscron géré par Fedasil.

La situation là-bas, c'est la même chose qu'une guerre!

Selon Orlando, le CGRA a notamment refusé la demande car le Salvador n'est pas considéré comme un pays en guerre. "La juge m'a dit que là-bas, au Salvador, il n'y avait pas de conflit armé et c'est pour ça qu'elle a refusé. Sauf que la situation là-bas, c'est la même chose qu'une guerre!", assure-t-il.

Avec leur premier avocat, ils ont introduit un recours devant le Conseil du Contentieux des étrangers (CCE), un tribunal administratif indépendant. Mais cet organe a confirmé la décision de rejet de la demande d'asile. "Quand ce recours est jugé comme non fondé, l’examen s’arrête. Et la balle revient dans le camp de l’Office des étrangers, qui plaide d'abord pour un retour volontaire dans le pays d'origine", explique Damien Dermaux. Un retour volontaire reviendrait à dire que la famille d'Orlando accepte la décision malgré ses craintes de retourner au Salvador. Et qu'avec l'aide de Fedasil, la famille organise son départ "dans les meilleures conditions". "En vue du retour, on organise avec la famille les différents moyens concernant le trajet, l'arrivée sur place, etc.", précise Benoît Mansy, porte-parole de Fedasil. Et si la famille refuse de retourner dans le pays d'origine, "il est possible qu'elle soit rapatriée de force", avec l'aide de la police notamment. 

La famille a pris un nouvel avocat il y a deux semaines. Maître Pascal Vancraeynest va réexaminer tout le dossier pour savoir si "de nouveaux documents peuvent être déposés pour appuyer une prochaine demande d'asile".

Retourner au Salvador avant de pouvoir revenir ?

Pour Me Pascal Vancraeynest, la famille n'a pas d'autre choix que de faire une nouvelle demande d'asile au CGRA. "Leur seule voie d’issue serait l’introduction d’une nouvelle procédure d’asile en mettant l’accent sur l’enfant qui pourrait également être visée par les mêmes problèmes que les parents dans le pays d'origine." Orlando et Maria pourraient aussi s'appuyer sur l'intégration de leur petite fille en Belgique. Elle parle désormais français et se rendait à l’école tous les jours. De plus, eux aussi suivaient des cours de français afin d'améliorer leur niveau, toujours dans l'optique de s'établir durablement en Belgique pour leur survie.

Il a très peur de retourner au Salvador

Orlando pourrait aussi faire une demande de permis de travail B. "Mais le problème est qu’il faut être en situation légale pour introduire la demande", précise l'avocat. Orlando devrait donc rentrer au Salvador avec sa famille pour pouvoir introduire une demande de permis de travail B. Si cette demande est acceptée, il pourrait revenir en Belgique. "Mais le souci est qu’il a très peur de retourner au Salvador", continue Me Vancraeynest. 

Pour le moment, l'avenir d'Orlando, Maria et Sofia sur le sol belge semble incertain. Tous craignent un départ forcé le 5 février prochain malgré une inquiétude constante et une envie de continuer tranquillement leur vie en Belgique, pays où ils étaient parfaitement intégrés et loin des maras salvadoriennes.

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