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Quand la paperasserie menace une belle initiative pour la santé des enfants dans les écoles: "Tout a changé et c'est devenu le boxon !"

Le directeur de l'école Sainte-Elisabeth à Rhisnes a décidé d'abandonner le programme européen, soutenu par la Région wallonne, qui permet à ses élèves de recevoir des fruits, légumes et produits laitiers pour la collation. Il invoque de trop lourdes tâches administratives. La Région a initié des simplifications pour améliorer la situation. Le programme connait un vif succès avec près de 245.000 enfants concernés.

En 2009, les programmes européens "Lait à l’école" et "Fruits et Légumes à l’école" (voir site internet de la commission européenne) apparaissent. Ces deux programmes fusionnent en 2017 pour ne plus en former qu'un seul. Cette année-là, 795 écoles wallonnes y participent. Après en avoir fait la demande, elles reçoivent, à raison de minimum une distribution par semaine, des fruits, des légumes et/ou du lait et des produits laitiers de la part de fournisseurs qu’elles ont préalablement sélectionnés.

Ce programme est financé par l’Union européenne complété d’une aide de la Région wallonne. Le plafond de l’aide est fixé pour un élève à 10 euros pour la fourniture et la distribution de fruits et légumes, et 10 autres euros pour le lait et produits laitiers.

L'année dernière, tout a changé et là c'est devenu le boxon

En principe, les écoles ne devraient pas débourser le moindre centime. Pourtant, quand la facture arrive, tout semble se compliquer. C’est du moins ce que nous assure Michel Lorent, directeur de l’école Sainte-Elisabeth à Rhisnes dans la province de Namur, via notre bouton orange Alertez-nous. Le nouveau programme mis en place à la rentrée 2017 serait devenu un véritable casse-tête administratif. Conséquence: dépassés, des directeurs peinent à remplir les documents à temps engendrant alors des dettes importantes pour leurs écoles. "Nous ne sommes pas spécialement habitués à ces paperasseries compliquées et nos fournisseurs non plus. Chaque directeur fait de son mieux mais ça coince", commence Michel Lorent, à la tête de son établissement depuis 15 ans.

Ce directeur veille au bien-être de ses 180 élèves et accorde une attention particulière à leur alimentation. En 2010, il inscrit son établissement pour pouvoir bénéficier du programme "Fruits et légumes". "Quand on vous propose de promouvoir des fruits et légumes à l'école, vous trouvez ça intéressant. Surtout que le budget est vraiment pas mal pour tenir l'année", nous explique-t-il. A chaque récréation, est proposé un fruit, "le plus souvent sélectionné en fonction des saisons". "C'est intéressant d'un point de vue éducatif, pédagogique et alimentaire", note le directeur. Quelques années plus tard, il découvre le programme "Lait à l'école" et se laisse également tenté.

"Mais l'année dernière, tout a changé et là c'est devenu le boxon !", s'exclame-t-il.

On est parti avec des chicanements alors que tout le monde fait du mieux qu'il peut

Les écoles ne reçoivent plus d'avance

Auparavant, les écoles participantes recevaient une avance pour payer les collations, trimestre par trimestre. "Trois fois par an, on devait rendre nos factures acquittées et on complétait un document. On renvoyait tout ça à la Région wallonne qui vérifiait si l'on avait bien payé, puis on recevait une 2e avance. Ça a duré pendant pas mal d'années", explique le directeur.  Mais "l'année dernière, on reçoit l'inscription, on nous indique que ça passe aux marchés publics (...)", soupire-t-il. En effet, désormais, les écoles sont soumises aux marchés publics. Elles doivent donc choisir l'offre la plus avantageuse économiquement (le prix n'étant toutefois pas le seul critère à prendre en compte).Et avec cette nouvelle réglementation, les écoles ne reçoivent plus d'avance. Elles doivent elles-mêmes piocher dans leurs finances pour acheter les denrées, nous indique Michel Lorent. "Arrive la fin de trimestre comme d'habitude, on fait les dossiers. Et là, on attend... En mars, je reçois un document qui m'assure que plusieurs erreurs se sont glissées dans le dossier", relève-t-il. "Le pays d’origine du produit livré manque", "l’identification du fournisseur manque"...

Le remboursement de centaines de fruits est donc reporté jusqu’à la régularisation complète du dossier. "On est parti avec des chicanements alors que tout le monde fait du mieux qu'il peut !, s'écrie-t-il. De nombreuses écoles se retrouvent donc avec un trou colossal dans leur maigres finances. Pour notre école, cela représente quasiment 4.000 euros", nous explique-t-il. Avant de s’exclamer: "Il est totalement indécent de traiter les directions de la sorte. Nous nous tuons à la tâche pour améliorer le quotidien des écoles. Nous sommes sanctionnées quand nous commettons des erreurs ou avons du retard. Nous devons être multi-tâches".


L'école abandonne le projet

Pour Michel Lorent, les factures s'entassent et pas le moindre remboursement ne se présente. "Pour tout ce que j'ai payé l'année dernière, je n'ai encore eu aucun remboursement", témoigne-t-il. "Cette année, ils (l'administration wallonne, nldr) insistent en nous disant de nous réinscrire au programme, car ils l'ont soi-disant amélioré mais ils n'ont toujours pas géré les problèmes de l'année dernière", déplore-t-il. 

Pour la rentrée scolaire 2018/2019, le directeur a donc pris une décision radicale pour son établissement. Pas de réinscription, les élèves devront se passer des collations saines proposées jusqu'à présent. "On ne voit que le bon côté de la chose. C'est bien que l'Europe finance des fruits et du lait pour les élèves mais on ne voit pas la quantité de travail colossale du personnel qu'il y a derrière", ajoute le directeur désabusé. 


L'administration wallonne reconnait de trop longs délais

L'administration wallonne est-elle consciente de tous ces désagréments? Pour le savoir, nous nous sommes tournés du côté du Cabinet de René Collin, ministre wallon de l'agriculture. Son porte-parole Pierre Wiliquet, nous assure que cette problématique n'est pas ignorée. "Un effort particulier a été mis en place, afin de clarifier la procédure de passation de marché public. Cette procédure, obligatoire pour toute institution publique, y compris les écoles, a posé beaucoup de problèmes dans la gestion des dossiers, entraînant un allongement considérable des délais de traitement et de remboursement des écoles par rapport aux frais déjà engagés", nous explique-t-on.


Plusieurs actions concrètes de la Région pour simplifier et accélérer les tâches administratives des écoles

Deux premiers changements en vue d'améliorer la situation ont été faits. "Les bordereaux de livraisons n’ont plus l’obligation d’être signés par le responsable de la distribution. Un membre du personnel de l’école pourra désormais être signataire", précise le Cabinet. Le but: décharger les directeurs d'établissements en confiant la tâche à d'autres membres de l'équipe pédagogique. 

Jusqu'à présent, un rapport d'activité pédagogique, qui récapitule les démarches mises en place par l'école, devait être envoyé dans les 20 jours suivant la mise en place de l'activité. Le délai est rallongé, il pourra désormais être envoyé jusqu'au 30 septembre de l'année qui suit. Là encore, le but est de ne pas inonder les responsables de paperasse. 

Enfin,"le Ministre a demandé à son administration de travailler dès à présent pour assurer, à partir de l’année scolaire 2020-2021, une centralisation des marchés publics afin de favoriser l’accès des plus petites structures au programme tout en gardant la possibilité de passer des marchés publics spécifiques pour les écoles qui le souhaitent", nous indique Pierre Wiliquet.

Et que se passe-t-il pour les établissements dont l'acquittement n'a pas encore été effectués? Plus de 500 écoles attendent encore un remboursement pour l'année 2017/18. Parmi elles, plus de 200 n'ont pas rentré les pièces justificatives essentielles pour pourvoir l'obtenir. "Tout est mis en place pour accompagner individuellement les écoles afin qu’elles remplissent leurs obligations afin d’escompter un remboursement", nous explique le porte-parole.


Un programme qui connait un succès croissant: près de 245.000 enfants en profitent

Au total, 244.944 élèves bénéficient de ce programme en Wallonie et à Bruxelles. Le Cabinet du ministre nous explique que le nombre de participants en est hausse constante. "La population scolaire participante a été multipliée par 8 par rapport à l’année scolaire précédente. Le programme est donc très plébiscité par les écoles. Pour l’heure, 1.120 dossiers ont été rentrés auprès de l’administration", nous assure-t-on.

Pour garantir le fonctionnement de ce programme européen, un plan est établi pour 6 années scolaires. Pour la période comprise entre 2017 et 2023, le Fond Européen agricole de garantie verse 30.111.952 euros. Les objectifs en termes de nombre d'élèves et de budget prévu dépassent l'aide FEAGA. La Wallonie verse donc 1.635.200 euros supplémentaires. 

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