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Dans une ville de Beyrouth dévastée, Emmanuel Macron se met en scène en sauveur

Des maisons éventrées, des habitants en colère et soudain des "Vive la France" et des applaudissements: le président Emmanuel Macron se met en scène dans une position de sauveur jeudi dans le quartier dévasté de Gemmayzé à Beyrouth, promettant aux Libanais en colère de demander des comptes à leurs responsables.

Aucun dirigeant libanais ne l'a encore fait. En bras de chemise, le visage masqué, le chef de l'Etat français s'est offert un véritable bain de foule, malgré la pandémie de coronavirus qui s'aggrave au Liban, se rendant dans les quartiers soufflés par les terribles explosions au port de Beyrouth mardi.

 

"Vive la France! Aidez-nous! Vous êtes le seul espoir!", répètent des Libanais au président français dans ce quartier majoritairement chrétien, qui était le coeur vibrant de la vie nocturne, des bars et restaurants à Beyrouth.

Marchant au milieu des débris de verre, parmi les entrées d'immeubles soufflées, Emmanuel Macron a pu prendre la mesure de la colère des Libanais, qui ont perdu tout espoir en leurs dirigeants, après cette explosion accidentelle due selon les autorités à un incendie, dans un entrepôt abritant plusieurs tonnes de nitrate d'ammonium.

Emmanuel Macron est pris dans la mêlée, se donne le temps de parler à l'un ou à l'autre, salue de la main la foule, dans la rue ou massée sur les balcons, qui applaudit à son passage.

Masque sur le visage, portant des gants de chantier, une femme l'interpelle en français, le tenant fermement par les deux mains. Le président se penche alors pour une étreinte qui s'éternise, sous les vivats et les sifflements des badauds.

"Révolution! Le peuple veut la chute du régime", scande un groupe massé devant une pharmacie dévastée, où le président français est entré, reprenant le slogan phare du printemps arabe, avant de conspuer le président Michel Aoun.

Certains laissent libre cours à leur rage dirigée contre les autorités. "Où étiez-vous hier? Pourquoi vous ne nous aidez pas?", hurle à l'intention de la police une femme du quartier.

Le premier à visiter le quartier est un président étranger. Honte à vous!

Sur Twitter, le dramaturge et acteur libanais Ziad Itani, qui habite le quartier de Gemmayzé, a salué une visite "historique", fustigeant l'incurie des dirigeants libanais. "Je n'ai plus de maison à Gemmayzé, et le premier à visiter le quartier est un président étranger. Honte à vous!", a-t-il lancé.

Je comprends votre colère

Devant la foule, M. Macron assure qu'il n'est pas là pour "cautionner (..) le régime". "Je comprends votre colère", dit-il. "Je suis là et c'est mon devoir de vous aider en tant que peuple, de vous apporter les médicaments, la nourriture", ajoute-t-il.

Aux personnes qui lui disent de ne pas faire confiance aux autorités, il répond: "Je vous garantis que cette aide n'ira pas dans les mains de la corruption".

 

"Surtout ne donnez pas de l'argent à notre gouvernement corrompu", l'interpelle une passante en français. "On n'en peut plus, on est à bout. C'est un peuple meurtri monsieur le président", poursuit-elle la voix tremblante.

"Ne vous inquiétez pas", répond calmement M. Macron.

"Libérez-nous des autorités, débarrassez-nous de la corruption, vous êtes notre seul espoir", ont scandé des Libanais.

Et c'est pendant ce bain de foule que le chef de l'Etat annonce qu'il va "parler à toutes les forces politiques pour leur demander un nouveau pacte politique".

Le président français va demander aux responsables "de procéder à des réformes (...) de changer le système, d'arrêter la division du Liban, de lutter contre la corruption". "Je vais leur parler. Je suis obligé de m'asseoir avec eux (..) je leur dirai la vérité, je vais leur demander des comptes", promet-il solennellement.

Pendant près d'une heure, le chef de l'État a vécu un moment diplomatique fort de son quinquennat, comme Jacques Chirac à Jérusalem en 1996 ou François Hollande en 2013 à Tombouctou.

Emmanuel Macron s'engouffre dans une voiture officielle. Direction: le palais présidentiel, sur les hauteurs de Beyrouth pour des entretiens officiels.

Critiques d'une partie de la classe politique française

"Le Liban n'est pas un protectorat français": l'Insoumis Jean-Luc Mélenchon, le patron d'EELV Julien Bayou ou encore le vice-président du RN Jordan Bardella ont critiqué jeudi la visite d'Emmanuel Macron dans le pays, au surlendemain d'explosions meurtrières à Beyrouth. "Je mets en garde contre une ingérence dans la vie politique du Liban. Elle ne sera pas acceptée. Le Liban n'est pas un protectorat français", a-t-il écrit sur Twitter, alors que le président français s'exprimait devant la presse à son arrivée à Beyrouth. "Je mets en garde les Libanais à propos des réformes de Macron: protégez les revendications de votre révolution citoyenne", a ajouté le député.

M. Macron a annoncé jeudi à Beyrouth qu'il voulait "organiser l'aide internationale" pour le Liban après les explosions mardi au port de Beyrouth qui ont dévasté des quartiers entiers de la capitale.

Face à la crise politique, sociale, économique et financière du pays, il a aussi souhaité "un dialogue de vérité" avec les autorités et a rappelé que la France porte "l'exigence (...) depuis des mois pour ne pas dire des années de réformes indispensables" dans "certains secteurs", comme "l'énergie, les marchés publics, la lutte contre la corruption". "Si ces réformes ne sont pas faites, le Liban continuera de s'enfoncer", a mis en garde M. Macron.

Des propos qui ont aussi fait grincer des dents Julien Bayou, secrétaire national d'EELV, sur Twitter: "Fin du protectorat français du Liban, 1941. Indépendance, 1944. La solidarité avec le #Liban doit être inconditionnelle".

Au Rassemblement national, le vice-président Jordan Bardella a écrit sur le même réseau: "Le soutien de la France au peuple libanais dans cette tragédie ne se discute pas. En revanche, le one man show arrogant et moralisateur auquel s'est livré Emmanuel Macron, aujourd'hui à Beyrouth, est indécent".

Des critiques irrecevables pour le député européen Place publique Raphaël Glucksmann: "Aurait-on préféré qu'il n'y aille pas et que la France soit absente après une telle catastrophe frappant un peuple aussi proche du nôtre? Et une fois sur place, heureusement qu'il demande des réformes à un gouvernement dont l'incurie et la corruption sont légendaires. C'est ce que demandent les citoyens libanais".

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