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Pourquoi ce chat aux taches de léopard n'est pas reconnu comme un animal domestique en Wallonie?

Avec leurs taches de léopard, ces chats font craquer de nombreux amateurs de félins. Ils nous l'assurent: les bengals sont, malgré leur look, des chats comme les autres. Mais ils ne figurent pourtant pas sur la liste des animaux domestiques, reconnus comme tels. Amateurs et éleveurs se battent pour l'y ajouter. Du côté du cabinet du ministre en charge du bien-être animal, c'est hors de question: une procédure d'agrément a déjà été mise en place, et on n'ira pas plus loin. Explications.

"La détention et l’élevage de bengal est interdite en Wallonie": voilà l’extrait d’un communiqué, publié il y a quelques mois sur le site du Service Public Environnement wallon, qui a fait des vagues au sein de la communauté des éleveurs et des amateurs de cette race de chat. Le cabinet du ministre Di Antonio, en charge du bien-être animal (une compétence régionalisée depuis le 1er juillet 2014), a récemment rappelé qu’au regard de la loi, ces animaux ne sont pas considérés comme domestiques, mais bien comme des "hybrides de chats sauvages".


"Bengal un jour, bengal toujours"

Pourtant, il existe, depuis des années, des dizaines d’élevages de ce type de chats prisés non seulement pour leur aspect "sauvage" puisqu’ils présentent des taches comparables à celles d’un léopard, mais aussi pour leur caractère. Dominique est responsable d’une chatterie à Flémalle, en région liégeoise. Elle a découvert la race en regardant une émission à la télévision il y a plus de 15 ans: "J’ai totalement flashé, car le caractère de ce chat est tout à fait ce que je cherchais. Un british ou un persan, pour moi c’est trop calme. J’aime un chat qui communique avec moi". Sa devise ? "Bengal un jour, bengal toujours", s’amuse-t-elle à dire. "Il a vraiment une apparence sauvage, mais avec un caractère formidable. J’ai une petite fille qui est née dedans, ce sont juste des amours".

Toujours est-il que pour détenir légalement un bengal en Wallonie, il faut introduire une demande d'"agrément". "Il n’y a pas de nouvelle règle, il s’agit simplement de l’application de la législation existante. Il semble qu’auparavant, le suivi de ces cas n’était pas une priorité pour le fédéral, qui a laissé se développer une situation contraire à la réglementation sur la détention d’animaux", nous précise-t-on au cabinet du ministre Di Antonio.


Une exception pour certains chats stérilisés

Concrètement, le chat bengal est issu du croisement entre un chat domestique et un chat sauvage venu d’Asie, le chat-léopard (aussi appelé chat-léopard du Bengale). Le résultat donne une portée de "bengals" de première génération, appelée "F1". Cette génération donnera naissance à un F2, qui donnera naissance à un F3, et ainsi de suite.

Il a été demandé à tous les particuliers ou éleveurs détenant des bengals de les "déclarer" auprès du service "Bien-être animal" du Service Public de Wallonie en introduisant un dossier via ce lien. Une démarche qui a été assouplie pour les détenteurs d’un bengal de 5e génération (F5) et plus, qui a été stérilisé : ils peuvent bénéficier d’un agrément "light".

Certains ont craint, après la publication d’articles l’année dernière, que leurs animaux soient saisis s’ils ne remplissaient pas certains critères. Le ministre a rassuré par voie de communiqué: "Aucun chat bengal, pour autant qu’il soit détenu dans des conditions favorables au bien-être animal, ne sera saisi en Wallonie". 


Sa chatterie "City Bengal" avait été agréée

En 2014, Dominique a été agréée pour sa chatterie, dont le nom, "City Bengal", laisse peu de place au doute quant à l’espèce élevée. Elle pensait donc être en ordre. Mais au mois de septembre 2015, elle a découvert dans la presse que tous les détenteurs d’un chat de cette espèce devaient faire cette démarche. "Je n’étais pas d’accord sur le principe, mais je n’avais pas envie d’être "hors la loi", donc j’ai fait en sorte de me mettre en ordre". Elle a dû introduire un dossier pour 9 de ses 12 chats, les trois autres étant des F5 stérilisés, qui ne nécessitent que l’agrément light. "Il faut indiquer des informations sur l’hébergement, ce qu’ils mangent, les soins apportés, qui est la personne qui garde les animaux quand le responsable n’est pas là, puis il faut une troisième personne aussi", nous raconte-t-elle.


Le bengal sur la liste "positive" ?

Julie Berger, vétérinaire et éleveuse de bengals, tout comme Dominique, estime que ces chats devraient être reconnus comme des chats domestiques et aimerait donc qu’ils figurent sur la "liste positive", celle des animaux qui peuvent être librement détenus par tout un chacun. "Qu’on demande un agrément pour les générations F1 à F5, je trouve ça tout à fait logique, car il a encore un reste d’animal sauvage. Le comportement de ces chats-là n’est pas du tout le comportement d’un chat domestique, il est beaucoup plus distant par rapport à l’homme, il fuit comme un animal sauvage. Ce n’est peut-être pas l’idéal pour des novices qui n’ont pas les infrastructures et les connaissances nécessaires".


Julie Berger est dans l’élevage de bengals depuis 8 ans et déclare ne pas avoir détecté de caractère sauvage à partir de la génération F5: "Je peux vous dire qu’en tant que vétérinaire, je vois des animaux qui sont beaucoup plus agressifs, alors qu’avec un bengal, je n’ai pas eu le cas ". La vétérinaire aimerait en revanche un meilleur contrôle des élevages: "Il faudrait plutôt se focaliser sur le fait qu’un élevage doit être fait correctement et avec des connaissances suffisantes".


Un chat dans un appartement de 50 m2: "Une hérésie"

Nous avons demandé l’avis d’un vétérinaire spécialisé dans le comportement animal et pas spécialement touché par cette problématique. "Pour avoir un chat domestique, il faut 4 ou 5 générations", nous confirme Joël Dehasse. "Le bengal existe depuis les années 70 et est à la mode depuis 5 – 6 ans seulement. C’est un chat comme tous les autres chats, il n’y a selon moi pas besoin de faire un rappel par rapport à un chat ordinaire", nous a-t-il expliqué. Il en profite pour faire un rappel valable pour tous les chats: "Le chat a besoin de marcher plusieurs centaines de mètres par jour, il a besoin de 100 m2 de surface, voire 1 hectare. Un chat ordinaire enfermé dans un appartement de 50 mètres carrés, c’est une hérésie. Il aime monter, entre 1m et 2m de hauteur, il a des horaires tout à fait différents des nôtres, avec des périodes de sommeil tout à fait différentes, et il faut les respecter. De plus, un chat ça mange 10 à 15 fois par jour. Il doit passer au minimum 3 à 5 heures à faire de la recherche alimentaire, une occasion qu’on ne donne pas beaucoup aux chats d’appartement".


Le cabinet a reçu près de 200 demandes d'agrément

Début mai, l'Unité du Bien-être animal du Service Public de Wallonie avait reçu au total près de 200 demandes, ce qui donne une idée du nombre de détenteurs et d'éleveurs dans la région. On dénombrait 149 demandes d’enregistrement "light" et 37 demandes d'agrément complet. Parmi celles-ci, une quinzaine ont été réorientées vers la procédure "light" "car les demandeurs possédaient des chats F4 stérilisés". On nous précise que certaines demandes ont été considérées comme non-conformes en raison d'un manque de données, mais que les personnes avaient été recontactées pour compléter leur demande. 

Si ces personnes ont tenu à se mettre en ordre, elles sont nombreuses, comme Julie et Dominique, à estimer que ce n'est pas nécessaire d'enregistrer les bengals de génération F5 et plus. Un député MR, Olivier Destrebecq, a décidé de porter la voix de ces éleveurs et amateurs de bengals au parlement wallon. "Je ne critique pas le ministre de s’occuper de la gestion de la prolifération des chats en général. Mais sans vouloir entrer dans une démonstration de génétique, il a été prouvé qu’à partir du F5, les bengals sont considérés comme des chats domestiques", nous explique-t-il.

Un comité d'experts a analysé le cas du bengal

Du côté de l’administration du service du Bien-être animal, lorsque la question s’est posée de savoir si oui ou non il fallait modifier la liste positive fixée depuis 2009, l’avis de la commission des parcs zoologiques a été sollicité: "C’est un comité d’experts prévu dans la loi sur le Bien-être animal, constitué de vétérinaires, de zoologistes, de biologistes, qui donnent leur avis sur tous les problèmes liés aux parcs zoologiques, et aussi aux animaux exotiques. La commission analyse les données pour toutes les demandes de particuliers pour les animaux qui ne sont pas sur cette liste. On leur a demandé de façon générale leur avis sur la détention de ces animaux, qui nous interpellait. La majorité s’est dégagée pour dire que plus on s’éloigne des générations proches des sauvages, moins il y a de problèmes, mais que le principe même de l’hybridation, n’est pas favorable aux espèces", détaille Joël Loir, l'expert en zoologie du Service public bien-être animal, qui estime que le mélange d'espèces induit un appauvrissement génétique de celles-ci. "Le consensus sur lequel ça a débouché, en concert avec le cabinet, c'est cette sorte de souplesse avec cette procédure d'agrément".

"Ne pas jouer aux apprentis sorciers avec l’hybridation des espèces"

Du côté du cabinet du ministre Di Antonio, on n'envisage donc pas du tout de modifier l'état actuel des choses. "Le Ministre n’envisage pas de placer des hybrides F5 et + sur cette liste. L’enregistrement online est une mesure d’agrément suffisamment simplifiée qui permet de garder le principe de l’exception et de l’examen au cas par cas". La raison? Cela permet de maintenir un cadre pour les hybrides: "Pour le Ministre wallon de l’Environnement et du Bien-être animal Carlo Di Antonio, l’éthique et le bon sens imposent de ne pas jouer aux apprentis sorciers avec l’hybridation des espèces. Ces croisements nécessitent en effet un apport régulier de spécimens sauvages prélevés dans la nature, ce qui soulève également des risques de trafic d’animaux sauvages".

Des espèces sauvages réintroduites grâce à un trafic illégal

Nous avons contacté plusieurs éleveurs de bengals en Belgique. "Les éleveurs utilisent au moins des F5", nous assurent plusieurs d’entre eux, dévoilant que certains utilisent des F1 pour réinjecter en quelque sorte un aspect plus racé dans la lignée. D’autres nous révèlent que certains n’hésitent pas à utiliser l’espèce sauvage pour des reproductions. "Ils les font venir de l’étranger. Dans d’autres pays, la loi n’est pas la même", nous glisse-t-on. C'est bien ce phénomène que les autorités en la matière souhaitent contrôler. "Nous insistons sur la dérive que représente le commerce de ces animaux qui pour être 'produits' implique de prélever des spécimens sauvages dans la nature. Si ces animaux sont esthétiquement attractifs, le ministre invite néanmoins chaque détenteur potentiel à réfléchir avant d’alimenter les filières et les trafics que sous tendent ce genre de pratiques commerciales". "Rappelons que nos refuges sont remplis de chats domestiques très diversifiés et qui ne demandent qu’à être adoptés", ajoute-t-on au cabinet. 

"On n’a pas envie de contribuer à faire venir des animaux sauvages dans des conditions qui ne sont pas forcément respectueuses ni du point de vue du bien-être ni de la préservation de la faune sauvage. On a une législation en matière de bien-être animal qui est avancée, la liste positive est citée en exemple à l’étranger, elle n’existe pas dans d’autres pays", ajoute Joël Loir. 

Deborah Van Thournout

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