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Agressions sexuelles: pour Sarah Schlitz, il faut "améliorer la prise en charge des victimes et des dossiers" pour "résorber le chiffre noir"

Depuis le 10 octobre, la parole des victimes de violences sexuelles se libère à Bruxelles et dans notre pays. Deux manifestations ont eu lieu en l'espace d'une semaine pour demander des actes concrets dans la lutte contre les agressions sexuelles. Ce regain de révolte est parti de deux cafés du quartier étudiant du Cimetière d'Ixelles où l’on aurait drogué des clientes pour ensuite en abuser. Le mouvement #balancetonbar est ensuite né du constat qu'il s'agissait d'un problème plus large, "systémique" même. En 2021, les femmes ne veulent plus avoir peur ni ressentir ce sentiment d'insécurité généralisé: comment rendre la ville et le milieu festif plus sûrs?

8 femmes belges sur 10 sont, ou seront, victimes d’une agression sexuelle ou de gestes déplacés, d'après une grande étude universitaire récente. Plus globalement, en Belgique, on recense 75.000 faits de violences sexuelles chaque année. Mais seulement 8.000 sont déclarés soit 1 sur 10. Et au total, il n’y aurait que 900 condamnations... Des chiffres qui montrent l'ampleur du problème. Mais comment rendre la ville plus sûre? Et les condamnations effectives? Que faut-il mettre en place comme mesure au niveau politique pour éviter ces abus à l'avenir? C'était l'un des débats de l'émission "C'est pas tous les jours dimanche" ce midi.

Pour en débattre, Sarah Schlitz, secrétaire d'Etat à l'égalité des genres, Maïté Meeus à l'origine de #balancetonbar, Anna Toumazoff militante féministe française à l'origine de #UberCestOver et #DoublePeine, ainsi que Leo et Alex, deux témoins victimes d'agressions sexuelles et de viols, étaient présentes sur le plateau. Et en appel vidéo: David Quinaux, porte-parole de la police de Charleroi, et Christine Gilles, gynécologue et responsable du Centre de Prise en charge des Violences Sexuelles (CPVS) de Bruxelles.

Un sentiment d'insécurité général 

Ce jeudi, lors de l'habituel live Facebook, Christophe Deborsu est parti à la rencontre des Liégeois. Et plus précisément, des Liégeoises. Et le constat est effrayant: toutes les jeunes femmes interrogées ne sortent pas seule par peur d'être agressée. Ce sentiment d'insécurité, elles vivent avec au quotidien, comme en attestent ces bouts de témoignages : "Quand je sors seule, j'ai la géolocalisation activée sur mon téléphone", "Je préfère être à plusieurs, je ne sortirais pas seule la nuit", "On ne peut pas sortir en ayant la conscience tranquille, c'est une angoisse permanente", ou encore, "on se sent comme des objets, c’est malsain, on n’ose pas sortir seule". 

Des témoignages qui reflètent pour la grande majorité ce que ressentent les femmes. Et pour comprendre, il est essentiel de laisser la parole aux victimes. Léo s'est faite agresser dans un bar LGBT à Bruxelles. L'agresseur l'a "poussée dans un coin reclus" pour lui faire des attouchements. Un évènement traumatisant qu'elle raconte sur le plateau de l'émission ce midi : "Je sais qu’il y a pas mal de filles hétéros qui viennent dans des bars LGBT parce qu’elles s’y sentent plus safe mais moi ce n’est pas pour ces raisons là, je fais partie de la communauté LGBT", débute-t-elle. "J’étais avec des amis, et un homme m’a littéralement tiré vers lui et m’a poussé dans un coin reclus. Et il a commencé à me faire des attouchements sur mes parties génitales", dit-elle la voix tremblante et les yeux larmoyants. 

"J’étais tétanisée mais j’ai quand même eu le reflexe de crier à l’aide pour qu’une autre jeune femme vienne me tirer. Il était très insistant et avait beaucoup plus de force que moi. Et c'est grâce à cette jeune femme, que je remercie encore aujourd'hui, que j'ai évité le pire", raconte-t-elle. 

Pour moi, c’était impossible d’en parler

Alex, 24 ans, a elle aussi vécu un évènement traumatisant. Il y a trois ans, Alex a été victime d'un viol. Sur le plateau, elle a le courage de témoigner et raconter son histoire : "Tout bêtement, j’ai envoyé un message à un tatoueur parce que j’étais intéressée pour un tatouage. Il m’a d’abord répondu très poliment. Mais au bout d’un moment, c’est devenu de la drague, je voyais qu’il était très insistant. Donc j'ai finalement décidé de ne pas du tout me faire tatouer par cette personne", raconte-t-elle.

"Sauf que quelques mois plus tard, je me trouve sur une application de rencontre, et sans le vouloir, je commence à parler avec le frère de cette personne. Donc sans le savoir, je me remets en contact avec cette personne, puisqu'avec son frère ils avaient le même cercle d’amis. Et voilà, finalement ça ne fonctionne pas (ndlr, avec son frère) et quelques mois après, je retrouve cette personne dans un bar au Cimetière d’Ixelles. Il me demande de sortir dehors pour discuter de tout ça en fumant une cigarette", poursuit Alex. 

"J’y suis allée inconsciemment, et on commence à faire un tour dans le quartier du Cimetière d’Ixelles. C’était le quartier où il travaillait et avait son salon de tatouage. Donc il me dit qu’il va passer aux toilettes et qu’il revient. Moi, encore une fois sans réfléchir, parce qu’on ne réfléchit pas toujours à chaque chose qu’on fait, je rentre dans le salon. Et là il m’enferme à clé et c’est là que les faits se sont passés…", décrit Alex. "J’ai essayé de dire non et de me défendre mais ça ne sert pas à grand-chose quand la personne est malintentionnée".

Traumatisée par cette évènement, Alex ne portera pas plainte immédiatement, "par honte", "par peur" aussi et "par culpabilité", même si elle n'avait rien fait de mal, explique-t-elle. Un sentiment que beaucoup de victimes ressentent : "J’ai attendu 3 ans pour porter plainte, je l’ai fait mercredi passé. Tout d’abord par honte, c’était une période pas facile dans ma vie personnelle, et j’avais honte d’en parler, peur de me faire juger, même si je savais très bien que ce qui c’était passé c’était du viol. J’ai intériorisé et j’ai gardé ça pour moi très longtemps. Je me voyais pas en parler, même à mon père qui vient aussi de l’apprendre. Pour moi, c’était impossible d’en parler, la honte et la culpabilité aussi, même si je sais que c’est pas de ma faute maintenant", explique Alex.

La "culture du viol"

Pour Anna Toumazoff, "c’est ce qu’on appelle la culture du viol". Elle détaille : "Un concept qui vient des Etats-Unis mais qui est assez similaire en France et en Belgique. Il y a toute une société tant au niveau des lois que la manière dont on nous éduque, qui permet aux hommes de violer les femmes, même si évidemment ce ne sont pas tous les hommes. Et comme il y a le droit à coté qui n’est pas hyper bien fait pour ça, alors malgré tous ces viols, ce n’est jamais condamné. On considère que seulement 1 violeur sur 100 est condamné ce qui permet à tous ces hommes violeurs de continuer". 

Selon elle, c'est donc un travail profond qu'il faut effectuer pour changer les mentalités et éduquer via la prévention pour éviter que ces abus ne se produisent. Il faut aussi, bien entendu, améliorer la prise en charge des victimes, a-t-elle expliqué. 

Réforme du code pénal sexuel: la nouvelle définition du consentement permettra d'inclure plus de cas, et donc, de poursuites

Pour Sarah Schlitz, il est primordial et nécessaire d'améliorer la prise en charge des victimes, mais aussi, de faire un travail de prévention en amont. "Depuis le début de la législature, la question de la lutte contre les violences sexuelles est une priorité, on n’a pas attendu les dénonciations dans le cadre de #balancetonbar mais j’aimerais souligner l’importance et la nécessité de la libération de la parole et le courage dont elles font preuves de s’exposer à travers des pages comme balancetonbar. Mais le politique doit aujourd’hui prendre le relai", a-t-elle débuté.

La réforme du code pénal et sa nouvelle définition du consentement "permettra d’inclure dans les questions de viols, davantage de cas et ça permettra aussi de réduire les classements sans suite. Parce que ça veut dire que dans la définition actuelle, beaucoup de cas ne sont pas considérés comme des viols. On inclura les questions de sidération qui seront justement prises en compte", détaille la secrétaire d'Etat à l'égalité des genres. Cet état de sidération, de tétanie totale, est ressentie par toutes les victimes d'agressions sexuelles, comme en témoignent Léo et Alex sur le plateau. 

Améliorer la prise en charge des victimes via l'extension des Centres de Prise en charge des Violences Sexuelles (CPVS)

Une meilleure prise en charge des victimes de violences sexuelles passe par l'extension du réseau des Centres de Prise en charge des Violences Sexuelles (CPVS), explique Sarah Schlitz. Actuellement, "on en a trois en Belgique, et le gouvernement a déjà accepté d’en financer 7 de plus de façon à ce que les victimes aient un centre à moins d’une heure de chez elle". "Ces centres sont précieux", a-t-elle ajouté. 

Concrètement, les CPVS proposent une prise en charge immédiate et centralisée des victimes 24h/24 et 7j/7. Ainsi, une aide médicale y est proposée, une enquête médico-légale réalisée immédiatement, et les victimes peuvent bénéficier d'un suivi psychologique. Si elles le souhaitent, les victimes peuvent aussi directement déposer plainte au centre grâce à une équipe de policiers, formés à la prise en charge des victimes de violences sexuelles, directement sur place. 

"Il faut améliorer la prise en charge des dossiers, et donc ça, ça passe aussi par des meilleures preuves. Via les CPVS, il y a une meilleure collecte immédiate des preuves auprès de la victime ce qui permet de mieux monter le dossier et donc de poursuivre", a expliqué la secrétaire d'Etat à l'égalité des genres.

Et les CPVS ont déjà fait leurs preuves, d'après Sarah Schlitz et David Quineaux, porte-parole de la police de Charleroi. Depuis leurs mises en place à Bruxelles, Liège et à Gand, le nombre de victimes prises en charge et les dépôts de plaintes ont augmenté. Christine Gilles, gynécologue et responsable du CPVS de Bruxelles au CHU St-Pierre nous donne des chiffres : "Au départ, quand on a ouvert les CPVS, on ne s’attendait pas à recevoir autant de victimes. Avant, il y avait 100 victimes qui se présentaient chaque année au CHU Saint Pierre pour la plainte de viol. Et maintenant, on est à 400/500 victimes. Et cette année, probablement 600 victimes"

A Charleroi, il n'y a pas encore de CPVS. Un centre sera ouvert dès le mois de novembre de cette année. Mais en attendant, les victimes n'ont pas d'endroit où se recueillir, comme l'explique le porte-parole de la police de Charleroi: "Habituellement, les victimes qui portent plainte sont presque une exception. Il faut apporter une réponse autour de la victime par des moyens multidisciplinaires. Je pense que le CPVS est une bonne réponse, et on voit d’ailleurs son ‘succès’ à Bruxelles puisque vous avez 7 fois plus de victimes qui viennent déposer plainte. Donc on agit vraiment contre ce chiffre noir qu’il faut absolument résorber".

La secrétaire d'Etat à l'égalité des genres a aussi détaillé un ensemble de mesures déjà mises en place comme la "formation de policiers" et "des magistrats". "Il y a déjà 50% des magistrats en Belgique, depuis le début de la législature, qui ont suivi une formation sur la question des violences sexuelles", a-t-elle précisé.

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