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"Vous allez me faire pleurer": Églantine Éméyé évoque son livre, un dialogue imaginaire entre son fils autiste sévère et le migrant qu'elle a accueilli

Ce vendredi, Églantine Eméyé était l'invitée d'Olivier Schoonejans sur la plateau du RTL INFO AVEC VOUS. La journaliste, animatrice de télévision et de radio, a une vie familiale intense. 


Vous venez nous parler de votre livre "Tous tes mots dans ma tête". C’est un dialogue imaginaire entre votre fils Samy et Mohammed, un migrant irakien que vous avez hébergé dans la chambre de Samy. C’est l’un de vos fils qui est autiste. Handicapé, il ne vit pas chez vous. Expliquez en quelques mots qui il est ?

"C’est un petit garçon atteint d’un handicap assez sévère. Il est épileptique et autiste sévère. Après de longues années à la maison qui étaient très difficiles, on a trouvé un endroit pour l’accueillir. Donc Samy a dû déménager. Dans le livre, il a 12 ans, c’est un jeune adolescent qui raconte sa vie lui-même."

Il ne parle pas, mais vous avez écrit ses mots. Vous le faites communiquer par la pensée avec Mohammed qui ne parle pas français. Comment avez-vous fait pour vous mettre à la place de votre fils ? Vous avez écrit ce que vous aviez envie qu’il dise ?

"Il y a un peu de ça, c’est vrai. En fait quand on est parent d’un enfant handicapé qui ne communique pas avec les mots, on passe notre temps à interpréter. Alors parfois on vise juste, parfois on est à côté de la plaque puis on réessaye. C’est beaucoup d’observation, d’échanges entre parents aussi et de recherches sur internet et dans la littérature. Au bout d’un moment, on établit un peu son mode d’emploi de la communication mais parfois je suis à côté de la plaque."

Samy raconte aussi comment vous êtes avec lui. Ce sont des moments assez touchants parce qu’il raconte le ton que vous utilisez quand vous lui parlez, quand vous lui chantez au téléphone. C'est vous qui l'avez écrit à sa place. Dans quel état êtes-vous quand vous couché ces mots parce que ce sont des moments très intimes que vous partagez ?

"Oui, j’avais déjà un peu dévoilé d’intimité dans mon premier livre. C’est vrai que c’est très intime mais en même temps je pense que cela fait écho à tout ce que les parents vivent avec leurs enfants. Un adolescent handicapé comme ça, c’est un corps d’adolescent mais c’est un gros bébé. Je parle beaucoup avec lui en chantant et je vois comment il est. C’est-à-dire qu’en général au moment où il entend ma voix et ces chansons-là, il s’allonge sur son lit, il met son pouce dans la bouche et il attend. Il est rassuré."

En comparaison, celui qui l'écoute par la pensée et qui communique avec lui dans le livre, c'est Mohammed. Un migrant irakien que vous avez accueilli. Lui non plus n'arrive pas à communiquer puisqu’il ne parle pas le français. Il ne comprend ni la culture, ni les coutumes, ni la langue. Il est paumé. Les deux situations sont un peu comparables ?

"Oui, j’avais l’impression quand on a accueilli ce migrant irakien, on lui donnait une place parce qu’on savait bien qu’il en avait besoin. Et puis j’ai été frappée par la similitude de ces situations, de deux personnes qui arrivent un peu comme si nous on arrivait sur la planète Mars. Ils n’ont pas nos codes, ils ne comprennent rien et ils ne sont pas compris. C’est une solitude extrême. Et je pense que pour mon fils qui a aussi quitté la maison et qui s’est retrouvé dans un nouvel univers, cela a été très difficile. Et je trouvais que ces points communs valaient le coup d’être confrontés."

Mohamed va prendre de l'assurance au fur et à mesure qu'il communique avec Samy. Samy lui donne confiance en lui. Le livre se ferme et on veut savoir comment va Mohamed. Vous avez des nouvelles de lui ?

"Il va bien. Il a son appartement en banlieue parisienne. En revanche, c’est très difficile de travailler quand on ne maîtrise pas la langue dans le pays dans lequel vous êtes. Et puis on est dans une crise économique et sanitaire importante, donc il rame pas mal. Il vit de plein de petits boulots. On va dire qu’il vivote mais sinon je trouve qu’il va bien, qu’il s’est intégré quand même, il est beaucoup plus à l’aise qu’avant."

Et puis, il y a Marco, votre premier fils. Un ado qui demande dans le livre : "Cela fait quoi d'avoir un frère ? J'aimerais bien lui manquer un petit peu". Il a droit à la première ligne du livre et aux dernières. Ces mots m’ont beaucoup touché. Il fallait aussi faire ça pour votre grand fils ?

"Oui vous allez me faire pleurer… Oui parce que je crois qu’être le grand frère ou le frère ou la sœur d’un enfant handicapé, c’est forcément une enfance différente même si lui dit que je ne lui ai rien retiré parce que j’ai toujours été la plus présente possible, on ne sort pas indemne d’une histoire comme ça. Et je trouve qu’il fait preuve d’une résilience et d’une maturité impressionnantes et je ne voudrais surtout pas qu’il s’imagine qu’à force d’écrire sur son frère, lui n’existe pas."

En tout cas, à travers ces mots, j’imagine qu’il a compris. Vous pouvez aller voir votre fils en ce moment pendant le confinement ?

"Autant pendant le premier confinement, on ne pouvait pas, autant maintenant j’ai le droit de me déplacer. Le problème c’est qu’il est loin et qu’on manque un petit peu de trains et d’avions. Mais là je rentre ce soir à Paris et je prends le premier train demain matin pour aller le voir."

Il est à 800km de chez vous, c’est ça ?

"Oui c’est ça."

Vous insistez aussi dans votre livre sur les gens qui travaillent dans ces intuitions, qui n’ont pas de boulots faciles. Ces institutions ne sont pas assez mises en avant, c’est votre combat également ?

"Je suis ne admiration perpétuelle de tous ces gens qui s’occupent d’enfants qui sont très compliqués, d’enfants adultes d’ailleurs handicapés, qui ne parlent pas. Il faut avoir l’amour et la foi chevillés au corps et je trouve qu’on ne le leur rend pas beaucoup. On manque de gratitude à leur égard. Ils sont mal payés, ils font un boulot mal payé. Je pense qu’ils méritent plus de reconnaissance vraiment."

"Tous tes mots dans ma tête". C'est drôle, c'est dur. C'est la vie. Avec un petit truc en plus qui nous dit des choses qu'on ne sait pas.

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