Accueil Actu

"La science-fiction n'existe plus" pour le dessinateur Enki Bilal

"La science-fiction n'existe plus", affirme tout de go le dessinateur Enki Bilal alors que paraît mercredi le deuxième tome de "Bug", un terrifiant récit d'anticipation montrant la planète plongée dans le chaos après la disparition de toutes les données numériques.

"Nous sommes dans un monde en mutation technologique et scientifique permanente. De fait, nous sommes déjà dans un univers de science-fiction", précise l'auteur de "La foire aux immortels" au cours d'un entretien avec l'AFP réalisé dans son atelier au cœur du quartier des Halles à Paris.

Edité par Casterman, "Bug" commence en 2041 dans un monde ressemblant furieusement à celui de 2019. Toutes les données informatiques disparaissent de façon inexplicable. Plus d'archives, plus de codes. Internet ne fonctionne plus, la télé numérique non plus. Les moyens de transports quasiment tous numérisés sont paralysés. Du plus gros serveur à la plus petite clé USB rien n'est plus opérationnel...

Toute la mémoire de l'humanité semble avoir migré dans la tête d'un seul homme, Kameron Obb, de retour d'une mission sur Mars. Dès lors, les états, les multinationales, les mafias n'ont plus qu'un objectif: s'emparer de cet homme dont le visage est grignoté par une mystérieuse tache bleue.

"Je raconte une histoire d'aujourd'hui. Nous sommes devenus extrêmement dépendants aux objets numériques. Le numérique est devenu à certains égards comme une extension de notre cerveau", explique Enki Bilal, smartphone à portée de main et ordinateur branché posé non loin sur un canapé.

"Nous avons tous connu le désarroi après la perte d'un téléphone portable ou d'une tablette. Pourtant c'est absurde. Avant que le numérique n'envahisse tout, on vivait très bien", assure l'auteur âgé de 67 ans qui précise ne pas être "nostalgique".

A sa façon, "Bug" met en garde sur les dangers potentiels du tout numérique. "Partout, on travaille sur de nouveaux implants, l'intelligence artificielle, le transhumanisme... En Chine, c'est déjà +1984+ (le roman de George Orwell, ndlr) multiplié par dix. Des caméras de surveillance sont capables d'identifier les gens qui traversent hors de clous. Repérés ceux qui auront été mal notés ne pourront plus prendre un train ou l'avion au prétexte qu'ils se sont mal comportés dans la rue", s'insurge le dessinateur.

"A l'époque où Orwell écrivait +1984+, poursuit-il, on se révoltait car on trouvait que ce système de surveillance perpétuelle était une intrusion dans notre vie privée, une forme de fascisme, de dictature".

- La maladie du numérique -

"Aujourd'hui, déplore-t-il, on accepte cela car nous sommes devenus addicts. Nous avons perdu notre capacité de révolte car nous sommes déjà contaminés par le numérique. C'est une maladie".

"Que se passerait-il si tout ce qui nous connecte au monde disparaissait du jour au lendemain?", s'interroge le dessinateur. Assurément le chaos, pense le lecteur pris de vertige à la lecture d'un album de sombre prophétie.

L'auteur notamment de la tétralogie "Monstre" (sur l'éclatement de la Yougoslavie et l'obscurantisme religieux) ou, en collaboration avec le scénariste Pierre Christin, de "Partie de chasse" (qui préfigurait l'effondrement de l'URSS), assure pourtant avoir "voulu éviter l'aspect réaliste" du chaos..

"J'ai évoqué de manière distanciée les conséquences de ce gigantesque bug numérique: usagers bloqués dans les ascenseurs, crashs d'avions, suicides psycho-traumatiques, les hôpitaux qui ne marchent plus... Ces centaines de milliers de morts en quelques jours", dit-il.

Car "Bug" est surtout l'occasion de revenir sur une des obsessions d'Enki Bilal: la mémoire et sa transmission.

"Le numérique entraîne un déficit de transmission de la mémoire. Qui note encore le numéro de téléphone de ses proches ou ses rendez-vous dans un carnet? Qui peut se passer d'internet?", dit-il.

Un troisième tome ("qui ne sera pas le dernier et dans lequel le personnage principal prendra conscience de ses pouvoirs") est d'ores et déjà prévu.

En attendant cette future tétralogie voire pentalogie, Enki Bilal prépare déjà, avec le scénariste et écrivain Dan Franck, une adaptation télévisée de "Bug" ("nous sommes sur une première série de six épisodes") qui devrait être diffusée sur France Télévisions.

À lire aussi

Sélectionné pour vous