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"Les Huguenots", ou le retour du grand opéra à la française

"Abjurez, huguenots, ou mourez!" La tristement célèbre tuerie de la Saint-Barthélemy, un tournant dans les guerres de Religion en France, est au cœur du plus spectaculaire opéra français, "Les Huguenots", de retour vendredi à Paris après 80 ans d'absence.

Pour son 350e anniversaire, l'Opéra de Paris réintroduit dans son répertoire cette œuvre de Giacomo Meyerbeer (1791-1864), allemand d'origine juive basé à Paris et star absolue de l'opéra au 19e siècle avant de tomber dans l'oubli en raison notamment de l'antisémitisme.

Un véritable "blockbuster" à l'époque, "Les Huguenots" (1836), dont la première joue vendredi à l'Opéra Bastille, est une sorte de Roméo et Juliette avec en toile de fond la Saint-Barthélemy.

En 1572, plusieurs milliers de ces protestants français furent massacrés par leurs compatriotes catholiques à Paris et d'autres villes, sous le règne du roi Charles IX et sa mère Catherine de Médicis.

Dans l'opéra, la catholique Valentine, demoiselle d'honneur de Marguerite de Valois -- la célèbre "Reine Margot" et fille de Catherine de Médicis-- est amoureuse de Raoul de Nangis, un noble protestant mais leur amour est impossible en raison des dissensions religieuses.

- Rouge catholique contre noir protestant -

La nouvelle mise en scène de l'Allemand Andreas Kriegenburg est épurée avec un décor dominé par le blanc qui contraste avec les costumes (signés Tanja Hoffman) des deux camps: rouge, bordeaux ou mauve pour les catholiques et plutôt et gris et noir pour les protestants, symbole de leur puritanisme.

Les tenues plus ou moins modernes tranchent avec les fraises portées par les hommes (collerette typique du 16 et début 17e siècle).

Un des principaux décors est un échafaudage de trois étages où évoluent les personnages et qui à la fin de cet opéra de cinq heures, est le théâtre du massacre proprement dit.

"Les Huguenots" avait connu un succès énorme, si bien qu'il a été le premier opéra à être donné plus de 1.000 fois.

C'est aussi l’œuvre qui imposa un nouveau genre: le grand opéra à la française, un spectacle grandiose qui comprend entre autres une histoire à fond historique et un nombre d'artistes impressionnant: près de 90 membres du chœur et 81 musiciens dans la production actuelle.

Ceci explique pourquoi à partir du 20e siècle, lorsque les coûts de production deviennent conséquentes pour un art en perte de vitesse, "Les Huguenots" a été si peu monté.

En raison de cette rareté de production, il n'y a aujourd’hui que quatre chanteurs dans le monde capables d'interpréter le rôle très exigeant de Raoul, dont le Coréen Yosep Kang qui a remplacé le ténor américain Bryan Hymel, malade, à une semaine de la première. Face à lui, les stars albanaise Ermonela Jaho (Valentine) et américaine Lisette Oropesa.

Musicalement, le syncrétisme de Meyerbeer, qui mélange technique orchestrale allemande, bel canto italien et la déclamation à la française, a été loué pour son originalité mais aussi très critiqué.

Le côté artistique n'explique toutefois pas à lui seul pourquoi Meyerbeer est sorti du répertoire mondial, jusqu'à récemment.

- "Rayé du paysage" -

"Meyerbeer, c'était le no. 1 mondial dans l'opéra après Rossini, il faisait la pluie et le beau temps, même Wagner lui léchait les bottes", explique à l'AFP Jean-Philipe Thiellay, auteur d'une biographie récente chez Actes Sud.

Par la suite, le même Wagner, qui a écrit un traité aux forts relents antisémites, "Le judaïsme dans la musique", "s'attaque à Meyerbeer en qualifiant sa musique de nulle à cause de ses racines juives", ajoute-t-il.

Ayant fait sa carrière à Paris, ce Berlinois était "considéré comme trop allemand par les Français et trop français par les Allemands", explique M. Thiellay, qui est directeur général adjoint de l'Opéra de Paris.

Mais c'est surtout avec les Nazis qu'il a été "rayé du paysage".

Il y a une décennie commence sa lente réhabilitation avec le retour timide de ses grands succès comme "Robert le Diable" --un triomphe qui avait fait la fortune de l'Opéra de Paris, ou encore "L'Africaine" et "Le Prophète".

"Restera-t-il de nouveau dans le répertoire? seul le temps le dira", selon M. Thiellay.

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