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"Raoul Taburin": le pari d'adapter le trait délicat de Sempé au cinéma

Sempé est connu pour ses dessins épurés, poétiques et drôles, un univers qui peut paraître difficile à adapter. C'est pourtant le défi qu'a tenté de relever le réalisateur de "Raoul Taburin a un secret", en faisant vivre le réparateur de vélos de Sempé sous les traits de Benoît Poelvoorde.

Le troisième film de Pierre Godeau (après "Juliette" et "Eperdument") est né au départ de discussions entre Jean-Jacques Sempé, 86 ans, dessinateur du célèbre "Petit Nicolas" (adapté au cinéma par Laurent Tirard en 2009) et Guillaume Laurant, scénariste du "Fabuleux destin d'Amélie Poulain".

"Sempé avait été approché très souvent pour adapter notamment +Raoul Taburin+. Il y tient particulièrement parce qu'il est l'auteur à la fois du récit graphique et des dessins", raconte à l'AFP Guillaume Laurant, compère habituel de Jean-Pierre Jeunet, avec qui il a écrit huit scénarios.

Sorti en 1995, l'album "Raoul Taburin" raconte l'histoire d'un marchand de vélos, dans le village imaginaire de Saint-Céron, où les objets portent les noms de ceux qui les vendent: des "bifailles" pour des lunettes ou du "frognard" pour du jambon.

Mais Raoul Taburin a un secret: il n'a jamais réussi à tenir en selle. Il a réussi à le garder, jusqu'au jour où le photographe Hervé Figougne décide de le faire poser sur son "taburin".

Dans le livre, chaque dessin, généralement en couleurs, est accompagné d'un texte. Le tout s'insérant dans le monde poétique, humoristique, tendre et un peu mélancolique de Sempé, à la fois familier et intemporel. L'auteur s'y délecte comme toujours des moindres détails en observant la cocasserie de personnages attachants.

"Je n'ai jamais eu la prétention d'imaginer que le cinéma puisse s'intéresser à mon travail. Ce n'est que lorsqu'on me l'a proposé que je me suis dit: +Quelle bonne idée!+, mais cela n'avait rien d'évident initialement. L'idée qu'une voix off raconte l'histoire m'enchantait, car j'aime forcément cela: ça berce, ça saisit, ça embarque. Je suis émerveillé par le +Il était une fois...+", commente Jean-Jacques Sempé.

- Fable -

"Tout de suite, le problème qui s'est posé, c'est que dans le livre, tout est très ténu, parce qu'il a le sens du raccourci", explique Guillaume Laurant. "Au cinéma, on est beaucoup plus obligés de montrer, et donc il y avait la nécessité d'alimenter le récit, et que le personnage soit plus ancré dans un certain réalisme, sans non plus être réaliste parce que ce n'est pas l'univers. C'est une fable".

A partir de cette idée de fable, Guillaume Laurant et Pierre Godeau ont inventé de nouveaux éléments pour étoffer l'histoire. Raoul Taburin s'est ainsi vu rajouter un père (Grégory Gadebois), facteur aux allures du Monsieur Hulot de Jacques Tati, pipe au coin de la bouche.

Son histoire a aussi été jalonnée d'un exploit d'enfance, et les personnages se sont mis à grandir tout en gardant les mêmes vêtements tout au long de leur vie.

"Il fallait réfléchir à une espèce d'extension cinématographique du livre, avec l'objectif fixé d'être absolument fidèle à Sempé, à son esprit", explique Pierre Godeau, 32 ans. "Dès que la ficelle était trop grosse, ça ne marchait pas. Il fallait arriver à rester sur cette intrigue toute petite, et simplement tirer le fil".

Accompagné tout au long par une voix off très présente, qui rappelle celle d'"Amélie Poulain", ce film familial installe une atmosphère nostalgique et désuète de photo un peu jaunie.

Benoît Poelvoorde enfourche le vélo de Raoul Taburin à l'âge adulte, accompagné par Edouard Baer dans le rôle du photographe, le tout dans un univers de conte à moitié réaliste, au final assez différent de celui de Sempé.

Au fil des réécritures imposées par les guichets de financement du cinéma, il aura fallu pas moins d'une vingtaine de versions du scénario pour le créer.

"C'est une assez jolie image du chemin qu'on a dû faire pour se défaire d'un texte aussi menu, mais aussi impactant", résume Pierre Godeau. "On a avancé à petits pas".

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