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"Saison sèche", cri rebelle d'une artiste trans contre le patriarcat

Sept corps sont étendus sur scène. Les jambes ouvertes, les danseuses ferment lentement leurs cuisses sur leur sexe nu, au rythme d'une vibration lancinante.

Ainsi commence "Saison sèche", spectacle créé au festival d'Avignon 2018 par l'artiste Phia Ménard et dont la première parisienne a eu lieu jeudi à la MC93 à Bobigny.

De tous les artistes traitant de la question du genre, cette Française semble la mieux placée: il y a dix ans encore, elle s'appelait Philippe.

Jongleuse, performeuse et metteuse en scène de 48 ans, Phia Ménard a entamé sa transition en 2008, après avoir rêvé depuis l'enfance d'avoir un corps féminin. Un choc.

"D'un seul coup, je suis passée du pouvoir à la perte du pouvoir", avait-elle affirmé à l'AFP à Avignon.

"Dans la peau d'un homme, je pouvais traverser une ville de jour comme de nuit sans avoir de soucis", ajoute cette femme aux cheveux blonds souvent relevés en chignon.

Depuis la transition hormonale, "j'entends régulièrement des remarques désobligeantes. J'ai perdu en quelque sorte mon invisibilité".

- "Envoyé chez des psy" -

Cette situation l'a inspirée pour monter "Saison sèche", où elle demande à sept femmes de détruire la "maison du patriarche".

De fragiles toiles blanches sur scène en symbolise les murs. Allongées d'abord, les artistes se redressent quand un plafond au-dessus d'elles remonte et se recroquevillent quand il s'abat soudain sur elles, comme pour les étouffer.

Phia Ménard lance au début du spectacle "Je te claque la chatte", une remarque qu'elle a déjà entendue dans la rue. "C'est symbolique car ça résume toutes les saloperies qu'on peut dire aux femmes", dit-elle.

S'ensuit une heure de danse hypnotique, où les sept femmes, souvent nues, se tordent et tremblent. Des vibrations à l'intensité croissante inspirent l'urgence de la rébellion.

En France, Phia Ménard est l'une des rares artistes qui ont fait leur "coming-out" comme transgenres, aux côtés des danseuses et chanteuses Coccinelle (Jacqueline Charlotte Dufresnoy, née Jacques), Bambi (Marie-Pierre Pruvot, née Jean-Pierre) ou l'actrice Stéphanie Michelini.

Née à Nantes d'un père qui travaillait sur les chantiers navals et d'une mère couturière, elle affirme s'être éloignée de ce milieu ouvrier où la question de l'homosexualité et encore plus du transgenre était taboue.

"A mon époque, on était envoyé chez des psy, comme si c'était un trouble auquel on doit remédier; on vous classait comme un malade", se souvient Phia Ménard.

"Il n'y a rien de moins démocratique que la nature", assure Phia Ménard. "Etre dépossédé de la reconnaissance de soi-même, c'est terrible". Les soubresauts, les coups et les hurlements des comédiennes dans "Saison sèche" incarnent cette dépossession.

En France, "le transexualisme" a été considéré comme une maladie mentale jusqu'en 2010. Et en 2016, une nouvelle loi stipule qu'il n'est plus nécessaire de subir une opération chirurgicale pour changer de sexe sur sa carte d'identité.

Toutefois, selon le même texte, la personne doit s'expliquer devant un juge, ce que la communauté trans juge "humiliant".

Si une opération reste pour elle une question d'ordre privé, Phia refuse de passer devant un tribunal et garde toujours son nom de naissance sur sa carte d'identité.

Elle se voit aujourd'hui comme "traductrice" qui peut s'adresser aussi bien aux femmes qu'aux hommes.

"J'ai assez vécu dans le monde des hommes pour parler de ça", assure Phia Ménard.

- "La masculinité, jeu d'apparence" -

Dans "Belle d'hier" en 2015, elle s'attaquait au mythe du prince charmant, et dans "Saison sèche", elle montre des femmes qui décident de se réapproprier leur corps.

"Elles vont chercher au fond d'elles-mêmes, à travers des passages +drag king+ (où elles se travestissent en hommes) pour faire comprendre que la masculinité, ce n'est qu'un jeu d'apparence", dit-elle.

Travesties en pompier, en sportif ou en artiste, les jeunes femmes s'entraînent les unes les autres dans une chorégraphie où les stéréotypes masculins sont caricaturés jusqu’à l'absurde.

Malgré l'évolution de la société, elle dit qu'on est loin encore de l'acceptation totale des trans.

"Il m'aura fallu 30 ans pour avoir le corps que je voulais. A l'échelle de la société, ça mettra des générations".

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