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A Cannes, une satire jouissive explose les rapports de classe et de genre

Culte de l'apparence, matérialisme débridé et patriarcat: dans "Sans filtre", le Suédois Ruben Östlund, de nouveau en lice pour la Palme d'or après "The Square" en 2017, fait voler en éclats les codes de la société moderne dans une satire jouissive.

Yaya, top model et influenceuse, obsédée par son image et sa carrière, se voit offrir une croisière de luxe avec son petit ami, Carl, lui aussi mannequin.

A bord du yacht, une galerie de richissimes personnages, oligarques russes alcooliques, charmant couple de retraités britanniques ayant fait fortune dans la vente de mines antipersonnel et autres odieux passagers harcèlent la cheffe de l'équipage de tous leurs caprices, tandis que cette dernière martyrise à son tour le petit personnel.

Mais une grosse tempête -- dont ne se soucie guère le capitaine du bateau, un marxiste totalement ivre au moment crucial -- va faire tanguer le navire et faire chavirer cet équilibre.

Dans une sorte de "Titanic" inversé, où cette fois les plus faibles ne sont pas forcément les perdants, Ruben Östlund décortique les ressorts de classe de fond en comble: les riches contre les pauvres, mais aussi les hommes contre les femmes, et les Blancs contre les Noirs.

Une préoccupation au centre de son oeuvre, avoue-t-il à l'AFP. "Je pense que les humains sont très sensibles aux hiérarchies, nous sommes conditionnés pour le grand +jeu social+ dès notre naissance", assure-t-il, "chaque jour la question c'est +quelle est ma position dans la hiérarchie sociale?+"

Elevé par une mère communiste dans les années 70-80 quand "c'était vraiment un bloc contre un autre", le Suédois se dit "socialiste": "je crois en un état fort et une économie mixte".

- "honte sociale" -

Le personnage de Carl, auquel Östlund s'est "beaucoup identifié", ne cesse de rechercher "l'égalité" dans ses rapports, y compris avec sa compagne, plus célèbre et mieux payée que lui.

Avec lui comme avec d'autres protagonistes du film, Östlund excelle, comme dans "Snow Therapy" ou "The Square", à disséquer les petites lâchetés, qui s’accommodent toujours mieux des convenances que de la vérité..

"Dans la scène où tout le monde vomit (lors d'un dîner à bord du bateau, ndlr), c'est ce qui se joue: chacun essaie de garder sa contenance, de tenir sa fourchette, malgré le mal de mer", explique Ruben Ostlund.

Harris Dickinson, qui joue Carl, renchérit: "c'est très provocateur, bien sûr c'est politique mais au-delà de ça Ruben dans son scénario pousse à bout nos comportements, notre morale, notre sens de la bienséance...".

Même le personnage de Yaya, résignée à devenir une "femme-trophée", "peut paraître superficiel, mais en fait je pense qu'elle a peur de son avenir, dans une industrie où vous avez une très courte carrière", assure le mannequin Charlbi Dean, qui l'incarne.

Ruben Östlund ne tombe pas dans la facilité: les faibles sont aussi méchants et médiocres que les puissants, et à leur tour abusent de leur pouvoir quand ils l'obtiennent.

Avec le point culminant du dîner en pleine tempête, scène orgiaque lors de laquelle l'écran tangue au rythme du bateau, la satire grinçante bascule dans la franche comédie.

Malgré ses 2h30, "Sans filtre" -- découpé en trois parties pour chaque grande séquence de l'histoire -- file à toute allure.

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