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A Montpellier, une "maestra des clavecins" fait chanter le bois et le fer

"On a un tas de bois au départ, un instrument fini à l'arrivée, et énormément de liberté entre les deux": Martine Argellies, l'une des seules femmes facteur de clavecins en France, fait chanter le bois et le fer avec passion depuis 1981.

Née à Perpignan de parents juristes, Martine Argellies, 61 ans, a d'abord travaillé dans la restauration de pianos avant de se lasser d'une activité uniquement "mécanique". Et depuis 1981, ce sont 333 somptueux clavecins, copies d'anciens ou créations, qui sont sortis de son atelier lumineux du vieux Montpellier.

Là, on peut admirer de simples épinettes italiennes au son tout en explosion ou des clavecins à la sonorité plus moelleuse, décorés de fleurs à l’ancienne ou de copies de maîtres. Un clavecin à la table d'harmonie verticale a même été fabriqué spécialement "pour les Parisiens et les Genevois ayant le mètre carré douloureux", sourit la grande femme brune, qui concède exercer "un métier plutôt masculin et physique" dans lequel "les cartilages souffrent".

Mais c'est aussi une activité extraordinairement variée - travail du bois, acoustique, histoire et décoration - , pour laquelle il n'existe aucune école ou formation. Martine Argellies se réfère aux plans édités par les musées européens quand ils restaurent des exemplaires anciens de cet instrument à cordes pincées, un moyen fascinant, dit-elle, de "récupérer trois siècles d'expérience".

Le corps de l'instrument est fabriqué en bois de peuplier ou tilleul. Dans cette phase, "le plus stratégique, c'est la table d'harmonie, le coeur de l'instrument: tout est raboté à la main, à deux dixièmes de millimètre près, vous changez le son de l'instrument", explique Mme Argellies.

A ses côtés, Sébastien Bec, 44 ans, employé dans l'atelier depuis 17 ans, travaille sur une fine planche de bois d'épicéa souple. Sébastien et sa femme Sandra, 40 ans, les deux employés de l'atelier, titulaires de formations en menuiserie-ébénisterie et sculpture sur bois, "savaient tout du bois mais rien du son", souligne celle qu'ils surnomment en souriant "la maestra des clavecins".

- "La même langue que les musiciens" -

C'est Martine Argellies qui se charge des délicats réglages qui détermineront le son: assemblage des cordes en métal et des pièces qui les tendent et les pincent. "Quand j'ai créé l'atelier je grattais la guitare comme un cancre", assure-t-elle: "J'ai pris des cours de clavecin pour parler la même langue que les musiciens".

Sa professeure, France Vezina, parle d'une élève "persévérante, complètement amoureuse de l'instrument" avec laquelle elle "travaille spécifiquement sur la manière de fabriquer le grain du son".

Martine Argellies avoue se battre au quotidien pour faire connaître "un instrument et un répertoire absolument fabuleux". A ses yeux, le clavecin, apparu au XIVe siècle et qui a connu son apogée au XVIIe et XVIIIe avec la musique baroque, "souffre d'un très mauvais look social: il n'a pas passé la Révolution parce que c'était l'instrument de la noblesse".

Mais le clavecin est "complètement adapté à l'oreille humaine", contrairement au piano, instrument "mégalomaniaque" du XIXe siècle, lié historiquement au romantisme et à la bourgeoisie, assure-t-elle.

C'est un "nano-marché, une activité fragile", souligne celle qui est soucieuse de faire vivre et transmettre ce savoir-faire: "On peine énormément à faire fortune !". Sa clientèle est à 50% parisienne mais cette femme du Sud ne quitterait Montpellier pour rien au monde. 25% est vendu en région et 25% à l'export, au Danemark, en Suisse ou en Corée.

"En France on a un système d'enseignement du clavecin exceptionnel et on rafle tous les prix internationaux", poursuit celle qui figure parmi la vingtaine de facteurs de clavecins recensés en France par l'Institut national des Métiers d'Art. "Certains élèves jouent comme des dieux mais sur des poubelles", déplore-t-elle.

Les clavecins qui sortent de son atelier coûtent entre 7.000 et 30.000 euros, bien moins cher qu'en Allemagne mais encore des sommes élevées pour certains musiciens. Mais de tels instruments, assure leur créatrice, "permettent de se faire plaisir pendant toute une vie".

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