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A Paris, le Mémorial de la Shoah, gardien de la fragile mémoire des juifs

Elle triait de vieux papiers. Elle est tombée sur ces documents "affreusement émouvants", deux lettres en russe, écrites par sa grand-mère déportée d'un camp français vers Auschwitz. Soixante-dix-sept ans plus tard, elle va les confier au Mémorial de la Shoah.

Liliane Shettle pousse la porte de la permanence du Mémorial niché au coeur de Paris, où, tous les mardis depuis 20 ans, sont recueillis les fragiles souvenirs de l'histoire de la déportation des juifs de France.

Le local est sans âme, mais l'ambiance est douce. Des petits gâteaux et des jus sont disposés sur une table, on entre ici sans chichis, on discute en yiddish, on se souvient.

"Ma grand-mère est morte à Auschwitz en 1942. C'est une histoire familiale qui a été tue pendant des années, et qui risque de disparaître, car mon père est en train de s'éteindre", explique Liliane, qui veut "transmettre" aux générations suivantes.

Le centre dispose d'un fonds photographique de 350.000 images, troisième photothèque après Yad Vashem à Jérusalem et le musée de l'Holocauste à Washington. Parmi ces photos, 50.000 proviennent d'albums de famille, explique la documentaliste Lior Smadja.

"Très peu de photos documentent l'histoire de la déportation en France, d'où 80 convois sont partis vers les camps de concentration. Comment raconter l'histoire des juifs de France dans la Shoah? Les photos de famille, les objets, permettent de retracer l'histoire", explique Mme Smadja.

- "Mémoire défaillante" -

Alors que le monde commémore en 2019/2020 le 75e anniversaire de la libération des camps, "la mémoire commence à être défaillante", poursuit la documentaliste. "Certains viennent ici avec des sacs remplis de photos et n'ont aucune idée de qui elles représentent. On les aide à récupérer leur histoire".

Laure Benaroya, une piquante septuagénaire, vient donner des photos de son grand-père. Un bel homme, clope au bec et chapeau sur la tête. "Pas mal, hein? On dirait Humphrey Bogart", sourit-elle.

Moïse, ou Maurice Touch, elle ne sait pas très bien s'il avait francisé son nom, avait fui les pogroms en Russie et vivait à Belleville, quartier parisien des tailleurs-fourreurs.

Interné à Drancy, un camp en région parisienne, il a été déporté dans le convoi numéro 51, en 1943.

Dans le train qui le menait au camp de Majdanek, en Pologne, il a jeté par la fenêtre une lettre, adressée à son vieux copain Jo Goldenberg, patron d'un ancien restaurant juif du quartier du Marais à Paris. Récupérée, la lettre a été confiée au Mémorial.

- "Urgence" -

Certains viennent déposer leurs souvenirs "comme un fardeau", ou pour faire un travail de deuil, constate Lior Smadja. "Il y a aussi une forme d'urgence, avant que tout ne finisse à la poubelle".

Le mur du Mémorial, où sont inscrits les 77.000 noms des Juifs déportés de France morts dans les camps, est en rénovation, et des photos vont être apposées près des patronymes. "Le mur est devenu le cimetière de ces familles, l'ultime sépulture", explique la documentaliste.

Arrive Léon Klein, un vieux monsieur de 90 ans, vêtu de marron des pieds à la casquette, presque aveugle. Originaire de Tarnow, en Pologne, il a connu le ghetto de Cracovie. Du bout de la pièce, Marcel Sztejnberg, octogénaire, l'interpelle. "Léon, j'ai plein d'objets qui viennent de Tarnow!".

Marcel, seul survivant d'une famille de 19 personnes, apporte régulièrement au Mémorial des objets confiés par les membres d'une association de familles de déportés.

Aujourd'hui, c'est un coupe-papier en bois délicat, poignant, sur lequel un détenu du camp de Pithiviers a gravé: "A ma chère fille Hélène, en souvenir de ton papa qui t'envoie ce cadeau", sur lequel il a collé une minuscule photo de lui.

Entre 1941 et 1943, plus de 16.000 juifs, dont près de 4.500 enfants, ont été internés dans les camps de Pithiviers et Beaune-la-Rolande (centre), gérés par l’administration française. Presque tous ont été déportés.

Marcel avait 4 ans en 1942. Il a été pris dans la rafle du Vel d'Hiv, une arrestation massive par les forces de l'ordre françaises de 13.000 juifs parisiens, enfants compris. Interné à Drancy, en région parisienne, il a été déclaré malade de la scarlatine et a pu sortir car "les Allemands avaient une trouille bleue de la contagion".

Soixante-dix-sept ans plus tard, il a fondé une famille, il a vécu, mais il se demande toujours pourquoi il a survécu.

Le vieil homme a consacré sa vie à aller chercher des archives en Argentine, en Israël, en Amérique. Dans quelques jours, il repart à Auschwitz. Pour la sixième fois.

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