Accueil Actu

A près de 100 ans, René Gonin se souvient du "délire" de la Libération de Paris

"Les gens étaient comme fous": René Gonin, 24 ans en août 1944, n'a rien oublié de la Libération de Paris il y a 75 ans, dans "une ambiance extraordinaire" entre liesse populaire et arrivée des troupes du général Leclerc et des Alliés américains.

"Toute la journée, ça a été le défilé des troupes, le soir on était complètement aphone", s'amuse René Gonin, œil perçant, petite moustache grise et ton jovial, en se remémorant l'arrivée des chars de la 2e Division blindée du général Leclerc dans Paris, dont il a été témoin depuis la porte d'Orléans.

Assis sur un canapé dans son pavillon de Saint-André-Treize-Voies (Vendée), il remonte le temps avec enthousiasme, à l'époque où il résidait rue Dedouvre à Gentilly, au sud de la capitale.

"Il y a eu déjà la Libération de Paris par les FFI (Forces françaises de l'intérieur)", rappelle-t-il, marqué d'avoir à cette occasion entendu sonner, pour la première fois, les cloches du Gros Bourdon de Notre-Dame.

Puis les premiers chars sont arrivés, "les gars étaient assis sur la tourelle, et acclamés, acclamés, acclamés ! (...) Pour fêter le passage, c'était du délire !", s'exclame René Gonin.

C'est que l'attente fut longue entre le Débarquement sur les plages normandes le 6 juin 1944 et l'entrée des Alliés dans Paris. Avec ses collègues, René Gonin écoutait la radio... et se faisait du mouron. Arriveront ? Arriveront pas ? "On était sur le qui-vive", se souvient-il à quelques semaines de ses cent ans.

Alors, quand a sonné la Libération, "les gens étaient comme fous, il y a des jeunes filles qui ne sont pas rentrées chez elles le soir, qui sont montées sur les tanks et ainsi de suite, sur les camions, il y avait une ambiance extraordinaire, c'est une chose qu'on connait une fois dans sa vie", confie-t-il, ému.

De cette effervescence générale, René Gonin conserve aussi des souvenirs acerbes, comme cet attroupement porte d'Orléans autour d'une "femme entièrement nue qui était plus ou moins passée au cirage, victime de crachats, d'injures... parce qu'elle avait couché avec des Allemands". Cette humiliation publique lui a "gâché" ce "petit nuage tout à fait hors du temps" de Paris délivré, raconte-t-il.

- "Losers" -

D'abord ouvrier chez Renault, René Gonin avait été mobilisé dans le 15ème régiment d'artillerie de Montpellier puis dans le 64ème régiment d'artillerie d'Afrique. Démobilisé deux ans plus tard, il avait regagné Paris en 1943, marié mais sans le sou.

Cette fois l'usine, ce sera sans lui: pas question d'être envoyé en Allemagne pour le STO (service du travail obligatoire). Il prend des cours du soir, devient tailleur de pierre.

Le quotidien est marqué par la disette, quand le rationnement signifiait "90 grammes de viande avec os, 72 grammes sans os" et un œuf par mois en espérant qu'il ne soit pas pourri. "On a eu faim", dit-il sans s'étendre sur les conditions de vie de l'Occupation.

De la mort qui rôde, il ne veut pas parler. Elude. "J'avais des raisons intimes d'avoir peur, mais ça c'est une autre histoire".

Témoin de son époque, il parle toutefois volontiers de "la lutte avec des moyens rudimentaires" - cocktails Molotov balancés sur les tanks ennemis -, des FFI aux armes enrayées, des résistants de la dernière heure, des Allemands "bien élevés" et "absolument corrects" et des Américains triomphants.

"Je suis tout à fait amical avec les Américains, il n'y a aucun ressentiment, mais ils sont venus en conquérants, on était des +losers+", lance M. Gonin, qui se souvient de soldats distribuant chewing-gum et cigarettes... mais qui pensaient que "pour une tablette de chocolat on s'envoyait une Française".

Après la guerre, René Gonin a mené une carrière riche, supervisant la construction de ponts, façades d'ambassade et palais dans plusieurs pays. "J'ai même connu en Arabie saoudite un ingénieur allemand qui avait fait sauter un pont que mes tailleurs de pierre ont reconstruit... On a rigolé ensemble".

À lire aussi

Sélectionné pour vous