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A Venise, "Nuevo Orden" ou le cauchemar du monde à venir

Le monde à venir vire au cauchemar: avec "Nuevo Orden", un drame ultraviolent et dénué de toute lueur d'espoir présenté à Venise, le cinéaste mexicain Michel Franco administre un électrochoc face aux inégalités et aux dérives totalitaires.

Exécutions sommaires, tortures à la matraque électrique, viols... En 01H28, rien n'est épargné au spectateur dans cette dystopie qui suit le destin brisé d'un couple de la bourgeoisie dans un Mexique qui bascule dans le chaos et la dictature militaire, sur fond de révolte populaire.

Le film, haletant et spectaculaire, s'ouvre sur leur mariage luxueux en présence de membres de la bonne société, la plupart blancs, et de nombreux domestiques, tous amérindiens. Personne ne semble prendre au sérieux la violence des émeutes et pillages qui secouent la ville.

Elle s'apprête pourtant à tout emporter lorsqu'une horde d'émeutiers armés d'origine indigène assiège puis envahit la maison-forteresse.

Puissants ou sans grade, les personnages, des domestiques à la famille des mariés, vont faire face au même déchaînement de violence et d'arbitraire de la part de la dictature militaire qui se met en place. Seuls en sortiront vivants ceux qui auront appris à déjouer tous les dangers et à ne plus faire confiance à personne.

- "Que des perdants" -

Il faut "avoir peur" pour "ne pas en arriver à ce point", assume le réalisateur Michel Franco, interrogé par l'AFP à Venise. "Je pense que représenter à l'écran la violence et ce qui la génère, de façon sérieuse et réaliste, c'est le premier pas pour comprendre ce qui se passe" et "pouvoir changer les choses".

Seul Latino-américain de la compétition à Venise, Michel Franco admet appartenir lui-même à la classe privilégiée d'un pays miné par les inégalités et la violence.

Parmi les personnages principaux, il fait notamment tourner une actrice issue d'une communauté indigène, Mónica Del Carmen, qui a expliqué avoir pu, par son parcours, toucher directement du doigt l'importance des questions d'inégalités.

"Le film explore un thème délicat dont il faut parler" si on veut éviter "cette explosion de racisme, de discrimination entre les classes et d'inégalités dans laquelle il n'y a pas de gagnants et que des perdants", a-t-elle souligné.

Ce sixième long-métrage du réalisateur de 41 ans, qui s'était fait connaître avec "Despues de Lucia" en 2012, primé à Cannes, est le plus noir et le plus violent de ceux qui ont été présentés jusqu'à présent dans la course pour le Lion d'Or, qui s'achève samedi.

- Désespéré et universel -

Par sa violence parfois gratuite et ses allusions aux mouvements de protestation contre les inégalités qui ont pu se développer ces dernières années à travers le monde, le film rappelle le "Joker" de Todd Phillips, vainqueur l'an dernier du Lion d'Or à la Mostra, avant d'être oscarisé.

Et "Nuevo Orden" ("Ordre nouveau") porte, lui aussi, un message aussi désespéré qu'universel : cette société minée par les inégalités a vocation à résonner bien au-delà de l'Amérique latine, région "experte en dictature", relève M. Franco.

"En France aussi, les gens se pensent plus ou moins heureux, mais les +gilets jaunes+ ont montré que quelles que soient leurs convictions politiques, de droite ou de gauche, les gens sortent dans les rues pour manifester et crier leur ras-le-bol", note-t-il.

"Le monde marche sur la tête", et au lieu de s'améliorer, va "vers les extrêmes". "Les gens sont mécontents partout et j'ai peur que des gouvernements ne saisissent l'opportunité pour étendre encore leur contrôle" sur la société, poursuit-il, soulignant que le film a été conçu avant "les +gilets jaunes+, le mouvement Black Lives Matter (aux Etats-Unis) ou (la révolte) à Hong-Kong".

Et bien avant la pandémie de coronavirus, qui, redoute-t-il, "ne fait qu'empirer les choses".

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