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Au Théâtre du Soleil, la pièce qui fâche

C'est une pièce censée éclairer le public sur le "génocide culturel" à l'encontre des autochtones du Canada. Mais bien avant la première, le metteur en scène s'est vu accusé par cette communauté de "voler" son histoire.

Conçue par la star québécoise Robert Lepage, "Kanata", qui débute samedi au Théâtre du Soleil à Paris, évoque plus d'un siècle de spoliation subie par les indigènes du Canada.

Ce n'est que récemment qu'ils ont commencé à se réapproprier leur histoire. Et en 2017, l'Etat canadien décidait d'indemniser des milliers d'autochtones placés contre leur gré dans des familles d'accueil dans les années 1960, une pratique qui n'a pris fin que dans les années 1990.

Cette page noire s'est ajoutée à la scolarisation forcée dans des pensionnats de plus de 150.000 enfants autochtones de la fin du XIXe siècle aux années 1970.

- "Identité volée" -

"Kanata" va être jouée par la troupe du Théâtre du Soleil, que la "reine" Ariane Mnouchkine confie pour la première fois en 54 ans à un metteur en scène invité.

Mais cette tentative s'est heurtée à des accusations d'appropriation culturelle, des personnalités autochtones affirmant cet été être "saturées" d'entendre les autres raconter leur histoire, s'indignant aussi de l'absence d'acteur indigène et d'une recherche insuffisante.

Trois artistes issus des "premières nations" ont affirmé à l'AFP que Lepage et Mnouchkine n'ont pas tenu compte de leurs opinions, s'inquiétant d'un spectacle "stéréotypé".

"La colère vient de gens à qui on a volé leur identité (...) On nous a refusé tellement de choses et là, on refuse de nous écouter", affirme à l'AFP Margo Kane, une figure des arts indigènes basée à Vancouver.

Pas besoin d'être Danois pour jouer Hamlet, avait répondu Mnouchkine lorsque le débat a éclaté en juillet. Un acteur hétérosexuel peut jouer un homosexuel, a aussi répliqué Lepage.

Il avait essuyé cette même année des critiques pour un autre spectacle, SLAV, une évocation de l'esclavage, car sa distribution était majoritairement blanche.

Sollicités par l'AFP, le dramaturge et la metteuse en scène n'ont pas souhaité donner d'interview.

La polémique a enflé cet été si bien qu'un coproducteur nord-américain a retiré son soutien financier, provoquant l'annulation de la pièce et l'indignation au Québec, où Lepage est considéré comme un héros.

Mais le projet est ensuite rebaptisé "Kanata - Episode 1 - la Controverse", le Théâtre du Soleil ne voulant pas "céder aux tentatives d'intimidation idéologique".

Les deux metteurs en scène ont refusé de modifier la distribution et affirment avoir dès le départ consulté des spécialistes.

- "Version hollywoodienne"? -

Or ceux-là mêmes, dont Mme Kane, ont senti qu'ils étaient ignorés.

"C'est décevant. Cet homme (Lepage) qui était un visionnaire... comment ose-t-il refuser d'écouter ces mêmes voix qu'il dit vouloir représenter?", s'indigne-t-elle.

La classe politique, des intellectuels et des artistes avaient crié à la censure de l'art.

"Nous n'avons jamais dit +nous allons vous empêcher de faire votre pièce+", assure à l'AFP Nakuset, directrice générale du Foyer pour femmes autochtones de Montréal, qui fait partie de la vingtaine de personnalités qui se sont réunies avec Lepage en été.

"On a dit que +si vous nous écoutez, ça ne la rendrait que meilleure+", ajoute cette femme Cri.

Mais d'après elle, l'attitude de Lepage était "+venez voir ma pièce et si vous n'aimez pas, vous pouvez alors vous plaindre".

Ariane Mnouchkine, connue pour sa troupe cosmopolite, avait affirmé à Télérama que les cultures n'étaient "les propriétés de personne".

"Si +Nous, juifs+, si +nous, noirs+, on commence à entrer dans ces schémas-là, par légitime amertume, on va reproduire et d'une façon aussi irrémédiable des souffrances folles, absurdes", avait-elle aussi confié au quotidien canadien "Le Devoir".

Mais la hantise des autochtones, ce sont les stéréotypes, alors que leur histoire est encore méconnue.

Nakuset affirme que les photos de promotion montraient des costumes "sortis tout droit d'un magasin de Halloween", et la pièce pourrait être "une version très hollywoodienne des Indiens en peau de daim et dans des tipis".

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