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Cannes: "Joyland", confusion des genres et patriarcat au Pakistan

Homosexualité refoulée, patriarcat étouffant, transsexuels établis: "Joyland", premier film du Pakistan en sélection officielle au Festival de Cannes détonne, porté par une actrice transgenre irradiante, Alina Khan.

Le premier long-métrage de Saim Sadiq, présenté dans la section Un certain regard, balaye tous les clichés qui courent en Occident sur la société pakistanaise. Une des morales du film est que les transsexuels ont, à certains égards, plus de marge pour s'affirmer que les couples hétéro-normés, dont on attend procréation et soumission à un modèle patriarcal.

"Les transsexuels ne vivent pas aussi librement qu'ils le feraient par exemple en France, mais leur mode de vie est loin de ce qu'on imagine en Occident quand on pense +monde musulman+", décrit pour l'AFP Saim Sadiq.

Le Pakistan "est très schizophrène, bipolaire presque, dans la mesure où vous avez, bien sûr, une certaine violence envers une communauté particulière (les transgenres) d'un côté, mais aussi cette loi très progressive, passée en 2018, qui autorise chacun à s’identifier par son genre, y compris un troisième genre", déroule le cinéaste.

Son film conte l'histoire d'Haider (Ali Junejo), fils cadet d'une cellule familiale de deux couples qui vivent sous le même toit et sous l'autorité du patriarche. Sa femme travaille, pas lui, ils n'ont pas encore d'enfant et on sent bien qu'il déçoit son père, vieux chef de clan, en n'épousant pas les contours virilistes en vigueur.

- "Représenter la communauté trans" -

Comble de la situation, quand il trouve enfin un emploi, c'est comme danseur (un peu gauche) dans un cabaret dont les stars sont des artistes transgenres. Et voilà qu'il tombe sous le charme de l'une d'entre elles, Biba, surnommée "Madame", meneuse de revue ambitieuse et haute en couleur.

Elle est incarnée à merveille par Alina Khan, qui avait répondu à une petite annonce du réalisateur pour son court-métrage "Darling" (2019). C'est une des révélations du 75e Festival de Cannes et elle a fait le bonheur des photographes à chacun de ses passages sur un tapis rouge bien pâle au regard de ses tenues.

"Très heureuse d'être à Cannes", Alina Khan est fière de "représenter la communauté trans qui n'a pas toujours une si grande opportunité au Pakistan", comme elle le dit à l'AFP. "Le message que je veux envoyer au monde est que la communauté trans doit pouvoir faire ce qu'elle veut comme n'importe qui".

Son personnage de diva va prendre une place de plus en plus importante dans la vie d'Haider. A l'image de la pancarte publicitaire géante à l'effigie de Biba qu'il est obligé de garder une nuit dans la maison familiale pour un problème de logistique.

- "Toujours en lutte" -

Effet domino dévastateur: comme Haider a trouvé un travail, sa femme Mumtaz (Rasti Farooq) est priée de lâcher le sien et de rester à la maison pour aider sa belle-sœur qui a quatre enfants. Un engrenage infernal.

Mumtaz dépérit comme un insecte coincé dans un bocal quand "Madame" papillonne sous les lumières du cabaret où elle se produit, tentant en coulisses de se fabriquer une vie de couple.

"Les femmes se battent contre leur domestication et pour les femmes trans c'est pratiquement l'inverse, elle se battent pour une place dans leur foyer. Elles se battent pour rester dans leur famille, pour ne pas se retrouver à la rue", développe le réalisateur.

"Madame", tout en ongles longs, n'hésite pas à sortir les griffes pour affirmer sa place. "Quand on dit +non+ à Biba, elle fait tout pour entendre +oui+, pour prendre le contrôle. C'est en cela que Biba et moi, Alina, on se ressemble, deux grosses bosseuses, toujours en lutte", dépeint l'actrice.

Haider, en pleine confusion des genres, perdra beaucoup plus que ses repères. "Même en Occident vous savez que les hommes blancs hétéros trustent les premières places. Au Pakistan, c'est la même chose".

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