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Ces drôles de rituels qui s'invitent dans les mariages... à quoi servent-ils?

Chaque année, de nombreux Belges font le choix de se marier civilement, mais pas devant Dieu. Une fois l’union scellée à la commune, soit ils s’arrêtent là, soit souvent ils proposent un cocktail, un banquet, une fête... Certains remplacent alors la cérémonie religieuse par une cérémonie laïque, ou une cérémonie d'"engagement". C’est dans l’organisation de ces célébrations que s’est lancée Julie, 32 ans.

Après avoir célébré son propre mariage en 2010, cette chercheuse, devenue depuis professeur de sciences, s’est dit qu’il y avait quelque chose à faire dans l’accompagnement des futurs mariés, parfois débordés: "A l’époque, je travaillais beaucoup. Mon chef ne voyait pas toujours d'un bon œil que je doive prendre des jours de congé pour l’organisation de mon mariage. Aujourd’hui, on se marie à un âge plus tardif, les gens travaillent. Or les prestataires vous proposent de vous voir en journée, ce qui n’est pas pratique. Je me suis dit, là il y a un manque de service, il faudrait des coachs, des gens qui puissent prémâcher le travail, aider à s’organiser", nous explique-t-elle.


"Les gens veulent crier qu’ils s’aiment, ils ont besoin d’une reconnaissance de leur engagement"

La première année, en 2012, elle s’occupe de 10 mariages. Elle coordonne désormais 20 mariages par an, un chiffre qu’elle ne souhaite pas dépasser: "Cela m’occupe un week-end sur deux pendant l’année". Au début, elle constate qu’environ 20% des couples lui demandent d’organiser une cérémonie non-religieuse, elle décide donc d’en faire une spécialité... au point qu’aujourd’hui, la moitié de ses clients demandent ce type de célébrations. "Il y a une forte augmentation des seconds mariages, ce qui est un peu incompatible avec l’Eglise. Or les gens ne veulent pas se limiter à la commune, où c’est très expéditif. Les gens veulent crier qu’ils s’aiment, qu’ils se font des promesses, ils ont besoin d’une reconnaissance de leur engagement", nous explique-t-elle. Elle s’occupe de couples homosexuels, mais aussi de couples dont les deux conjoints pratiquent des cultes différents: "C’est une alternative, du coup ça devient une cérémonie œcuménique où on peut faire des allusions aux deux religions".


Et pourquoi pas un mariage laïc?

Lorsque les conjoints ne font pas le choix de se marier à l'Eglise comme l'ont fait leurs parents, ils ne cherchent pas non plus forcément à faire un mariage étiqueté "laïc": "L’idée de ces cérémonies non religieuses change d’odeur petit à petit. Au début il fallait prendre le contre-pied d’un monopole clérical, et il y a avait une sorte d’animosité. Ici ce n’est pas un cri non-religieux, c’est juste areligieux. Les jeunes ne sont pas intrinsèquement et agressivement irréligieux. La religion de papa et de maman est devenue peu intéressante. Il y a à peine une cinquantaine d’années, les laïcs s’organisaient pour avoir leurs propres cérémonies", commente Michaël Singleton, professeur émérite d'anthropologie de l'Université catholique de Louvain.


"Quand tout est possible, on ne sait pas trop dans quel sens partir"

"Crier son amour": voici donc l’objectif de ces cérémonies d’engagement. La "wedding coach" offre un cadre aux futurs mariés pour le faire. "A l’église, vous recevez un petit livret pour les textes. Au centre d’action laïque, il y a aussi un canevas de base, mais il est très cadré. C’est cela qui ne plait pas à mes clients, qui ont envie d’un mariage très personnalisé. Mais quand tout est possible, on ne sait pas trop dans quel sens partir. C’est là qu’on intervient", décrit Julie. Elle propose alors une trame, qui tourne autour des valeurs du couple, ou de son histoire. Les conjoints choisissent aussi les intervenants qui viendront lire des textes pendant la cérémonie.

"Il y a sans doute le fait qu’on est marqué depuis l’enfance par une série de rites. On assiste à des mariages qui nous marquent, et sortir de ces traditions, ce n’est pas évident... ce n’est pas étonnant que l'on fasse appel à des coachs !", commente le psychanalyste Patrick De Neuter, professeur émérite de clinique psychanalytique et de psychopathologie du couple, de la famille et de la sexualité à l'université de Louvain . "C’est à la fois l’avantage et la difficulté de notre culture: tout devient plus personnel, il faut donc tout choisir et tout inventer. Et cela demande une certaine énergie psychique".


Des mariages qui en disent long sur cette société "où le selfie est roi"

Les cérémonies très classiques laissent donc place à des choix: "On est dans un monde où le selfie est roi, où chacun tire son plan comme bon lui semble et négocie les rites. Autrefois, on ne pouvait pas le faire, ce n’était pas prévu par le programme. Cela reflète un certain individualisme occidental", constate l'anthropologue. Dans un monde où le selfie est roi, le statut Facebook prend une dimension officielle: l'un des couples dont s'est occupé Julie a officialisé son union en changeant, en direct, sa "situation amoureuse" sur le réseau social.


Des rituels très "américains"

Si les cérémonies de mariage évoluent, certains éléments subsistent, comme le besoin de déclarer son amour devant un tiers. "On peut simplement s’engager personnellement à deux, dans le secret de la chambre ou ailleurs. Mais toute parole prononcée en présence d’un tiers prend une dimension différente. Cela lui donne plus de poids psychiquement", ajoute le psychanalyste.

L’imagerie américaine des mariages inspire beaucoup Julie... et ses clients. "On est tous américanisés", commente-t-elle. La coach en mariage emprunte ainsi aux Etats-Unis ses rites les plus prisés lors des cérémonies. "Il y a le handfasting, ou le rite des mains liées. Les membres importants de l’assemblée comme les témoins, les parents, les proches, viennent nouer avec un ruban les mains des mariés. Chacun apporte un ruban, qui a une couleur symbolique, en accord avec le vœu qu’il a envie de faire aux mariés comme le bleu pour la sagesse...". Pour Patrick De Neuter, ces rites permettent de mettre une image, qui représente ce qui se dit: "C’est une façon complémentaire d’exprimer que l’on s’engage".


(Maxime Degée Photography)


Cocktails, passage de bougies ou mélange de sable : à chaque couple son rite

Lors d’un mariage dont elle s’est occupée, Julie se souvient par exemple que les témoins avaient choisi un ruban orange à pois blancs: "De l’orange pour qu’il y ait de la gaité, et les pois blancs pour la pureté des sentiments".

  (Hung Tran Photography)

Chacun choisit ses rituels: faire un cocktail, avec des ingrédients qui "représentent la personnalité" des mariés: "On a par exemple le rhum pour la force, l’eau pétillante pour le peps, la grenadine pour la douceur...".

(Artlight Photography)

 

Des proches qui s'engagent, eux aussi

Certains veulent faire participer des enfants: c’est par exemple possible lors de la cérémonie du sable, durant laquelle les proches mélangent plusieurs sables de couleurs différentes. "Ce qui est super classique aux Etats-Unis, c’est la bougie d’unicité. Chacun a une petite bougie et se passe la flamme. Au final elle arrive aux mariés qui allument une plus grande bougie. Leur amour se nourrit de l’amour qu’ils reçoivent de leur entourage", explique Julie.

Car c'est peut-être aussi cela qui évolue beaucoup dans la façon de célébrer les mariages de nos jours: la participation, grandissante, des tiers, et ce égaement dans les étapes qui précèdent le mariage lors des "enterrements de vie de jeune fille" ou de "vie de garçon" par exemple. "On personnalise, mais on fait aussi intervenir davantage le groupe d’amis, plus que les groupes d’acteurs traditionnels, comme la famille, la commune ou l’Eglise. Le groupe d’amis n'est plus désigné par la tradition. Ces amis sont choisis, avec tous les problèmes que ça pose: le fait de faire des choix complique parfois la situation... C'est la rancon de la liberté", commente le psychanalyste.


"On pleure beaucoup durant ces cérémonies"

Il y a aussi les vœux : les mariés écrivent eux-mêmes ce qu’ils ont envie de se promettre. "On pleure beaucoup durant ces cérémonies, ce sont des moments très émouvants. Donc je leur conseille toujours d’apporter une note d’humour". L’entourage intime du couple rédige lui-même ses textes: "Moi, je fais le lien entre tous les intervenants durant la cérémonie".


(Maxime Degée Photography)

Un autre aspect tiré des grandes cérémonies de mariage "à l’américaine", c’est la déco: Julie propose de belles scènes avec des tapis blancs et des fleurs partout. Mais attention, la coordinatrice trouve qu’il faut d’abord penser au fond: "Avoir une cérémonie qui est émouvante, avec une déco qui est minimaliste, ça peut passer, mais une déco grandiose lors d’un mariage où on s’embête, ça ne va pas".


Une école pour les professionnels du mariage

Après avoir lancé son entreprise de coaching pour futurs mariés, Julie Gabriels a passé l’examen de la "Wedding Institute" à Paris. Aujourd’hui, elle enseigne son savoir-faire dans l’établissement qui a ouvert une antenne à Bruxelles. Ses services vont de la séance de coaching unique à la prise en charge totale du mariage. Elle estime que pour pouvoir qu’elle puisse bien travailler, il faut compter un minimum de 12.000 euros au total pour un mariage de 100 personnes (cela comprend le traiteur, la salle, le paiement des prestataires...). Elle organise aussi des "ateliers du mariage" afin d’aider des couples qui ont un budget plus serré à organiser un mariage low cost: "J’essaie toujours de proposer une solution à tout le monde", explique-t-elle.

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