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Comment devient-on égyptologue? Valérie nous raconte son métier-passion

La Belgo-canadienne a annoncé avoir accompli une découverte majeure. Une consécration pour cette femme dont la flamme s'est allumée alors qu'elle avait 10 ans. "Des hommes nous parlent du fond des millénaires par le biais de leurs œuvres d’art", nous illumine-t-elle.

Valérie Angenot, égyptologue belgo-canadienne, a annoncé une découverte majeure hier aux États-Unis. Après avoir observé et comparé finement des visages de statue mais aussi un étrange geste sur une stèle, elle est en mesure d'affirmer que deux reines ont régné ensemble sur l'Égypte à la mort de leur père, le célèbre pharaon Akhenaton, et avant l'avènement de leur jeune frère, le non moins célèbre Toutânkhamon. Nous relatons dans un article richement illustré sa conviction qui vient bouleverser certaines certitudes. Au-delà du fruit de son travail, il nous a paru intéressant de vous raconter la personne et son histoire. Comment devient-on égyptologue ? Comment peut-on exercer son métier dans un domaine où les places sont sans doute rares ? Comment a-t-elle abouti au Canada ? À côté de l'histoire de reines et princesses il y a plus de 3000 ans, voici la vie d'une femme moderne et indépendante qui a dû s'accrocher avant de parvenir à de premières consécrations professionnelles.


Première vie au Canada

L'hiver 2017, au mois de novembre, Valérie est partie au Canada. Un rêve s'accomplissait. La quadragénaire qui avait souvent terminé seconde de concours lorsqu'un poste se libérait, devenait professeure d'histoire de l'art à l'université de Québec à Montréal. Elle a franchi seule l'océan. Son mari et son jeune fils allaient la rejoindre deux mois plus tard. Une nouvelle vie commençait. Étrange coïncidence, cette femme avait fait exactement le même voyage il y a bien longtemps, quand toute la famille avait suivi le père, diplômé de Romanes à l'ULB (Université Libre de Bruxelles), qui avait obtenu un poste en littérature comparée à l'université McGill de Montréal. Elle y vivra sept ans. Avant que ses parents ne divorcent et qu'elle ne rentre en Belgique avec sa mère et son frère. Ils s'établirent à Esneux, la maman travaillant dans un home pour enfant placé à Comblain-au-Pont.


Le déclenchement

La passion pour l'égyptologie est née alors que la petite Valérie avait dix ans. "C'est déjà tard", sourit-elle au téléphone, ajoutant qu'en général chez les égyptologues, l'accroche a lieu beaucoup plus tôt. "Quand j’avais dix ans, ma mère a fait un voyage en Égypte. Elle en est revenue avec plein de photos et de documentation. Elle m’a ensuite emmenée à des conférences sur l’Égypte ; de là est née ma passion. Je devais faire la même année un travail pour l’école portant sur un sujet au choix, et j’ai naturellement disserté sur l’Égypte", se souvient-elle. Le père a participé à nourrir cet intérêt en germination. "Durant l’été à Montréal où je passais généralement mes vacances, mon père m’a sorti plein de livres sur l’Égypte de la bibliothèque de McGill", raconte-t-elle. Parmi les ouvrages, la grammaire de Champollion. Jean-François Champollion est célèbre pour avoir été le premier à déchiffrer, au XIXe siècle, les mystérieux hiéroglyphes qui composent l'écriture égyptienne. Dès son plus jeune âge, alors que la plupart des petits wallons ont comme connaissance d'une langue étrangère quelques mots de néerlandais appris en classe, Valérie était capable de lire les hiéroglyphes et le copte (langue descendant de l'égyptien et du grec ancien) !


Un long et agréable bain d'études

La dernière année de secondaire est marquée par un voyage. Le fameux voyage rhéto'. Dans l'école de Valérie, on devait partir en Grèce. Mais dans une école voisine, à Chênée, on partait en... Égypte. L'adolescente a tout fait pour se joindre à eux. "J’avais postulé pour travailler durant l’été au GB de Tilff pour me payer le voyage. J’ai été retenue pour travailler à la boucherie. Or, je suis végétarienne. Ça a été l’enfer, mais je l’ai fait, parce que je tenais à mon voyage", écrit-elle.

Pour ses études supérieures, bien entendu, la jeune fille choisit l'égyptologie, à l'université libre de Bruxelles. Puis elle accomplit un doctorat suivi d'un post-doctorat au Canada à Toronto. Valérie est heureuse, baignant en permanence dans l'Égypte antique qu'elle aime tant. Elle se rend régulièrement en Égypte pour participer à des fouilles. Cette période d'études, elle aurait pu la poursuivre toute sa vie. Mais cela s'arrête. Il faut trouver un travail. Les postes de professeur sont rares. Valérie passe de nombreux concours, terminant souvent seconde. Elle obtient des charges de cours à l'ULB et l'UCL (Université Catholique de Louvain) mais ce n'est pas suffisant et elle doit pratiquer des petits boulots sans lien avec sa matière de prédilection. "Cette période de transition m’a permis de me recentrer un peu sur ma vie personnelle et d’envisager la création d’une famille, ce que permet difficilement le travail académique. Mon fils est né à ce moment-là", raconte-t-elle.


La seconde vie au Canada

Et puis l'offre inespérée est arrivée. Un poste de professeure dans une université à Montréal avec un accent sur sa matière préférée: l'approche sémiotique des oeuvres d'art, soit le fait de faire ressortir des significations de signes observés dans ces oeuvres. Elle postule. Elle est prise. Elle part. Elle retrouve le Canada de son enfance auquel elle trouve de nombreuses qualités. "Ce que j’apprécie le plus au Canada, c’est la bienveillance des gens et en particulier celle des collègues. L’ambiance de travail est formidable, sans les antagonismes et les tensions omniprésents en Belgique. On reçoit des gens beaucoup de considération, il n’y a pas de discrimination, pas de sexisme. Le Canada est beaucoup plus évolué en ces matières, et cela fait un bien fou", décrit-elle.

C’est comme découvrir à chaque fois un trésor, mais un trésor qui serait immatériel : une pensée ou du sens qui nous parvient par-delà les siècles

Sa passion pour l'égyptologie est, plus de 30 ans après la première étincelle, encore plus brûlante. La réalité du métier se conjugue-t-elle avec ce qu'elle espérait ? "Je peux dire qu’il correspond exactement à l’idée que je m’en faisais quand j’étais petite. Je connaissais, par mon père, le travail de professeur d’université, mais je voulais également faire de la recherche et du terrain, vivre des aventures et des émotions en Égypte", explique-t-elle.
Ce qu'elle aime le plus ? L'art égyptien. Pour sa beauté ? Sa réponse est étonnante et emballante à la fois: "Je m’attache à en découvrir le sens profond plutôt qu’à contempler dans une perspective esthétique", écrit-elle. Et elle nous décrit l'excitation du chercheur: "Cette sensation unique du moment où on se rend compte que l’on a compris ce qu’un égyptien d’il y a 3500 ans a voulu dire." Et elle répète avec d'autres mots qui pourraient susciter de nouvelles vocations: "C’est comme découvrir à chaque fois un trésor, mais un trésor qui serait immatériel : une pensée ou du sens qui nous parvient par-delà les siècles ; des hommes qui nous parlent du fond des millénaires par le biais de leurs œuvres d’art." La passion des égyptologues est décidément aussi fascinante que l'Égypte elle-même.

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