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Daniel Travier, "passeur" d'une mémoire vivante des Cévennes

Daniel Travier, 71 ans, préfère au terme de collectionneur celui de "passeur de mémoires": dès sa petite enfance, il a recueilli les mémoires, les savoir-faire et des milliers d'objets des anciens, présentés aujourd'hui dans le Musée des Vallées cévenoles à Saint-Jean-du-Gard.

Fils d'un ébéniste et d'une professeure de mathématique, Daniel Travier vit "une enfance privilégiée", marquée par son grand-père paternel Raoul qui, grâce à son talent de conteur bilingue (occitan et français), l'inscrit "dans l'histoire d'une famille protestante enracinée à Saint-Jean-du-Gard depuis au moins dix générations".

Parmi les figures familiales, c'est un grognard de Napoléon qui fascine particulièrent le petit garçon. À l'âge de 12 ans, il découvre les livres dans l'impressionnante bibliothèque d'un pasteur.

Le jeune Cévenol prend conscience que "la chaîne de transmission des savoirs est en train de se rompre" en Cévennes à la fin des années 1950, période de déclin et de creux démographique. "Je me dis alors qu'il faut récolter ces savoirs et que l'on verra ensuite comment les diffuser et en faire profiter le plus grand nombre", raconte-t-il.

"Les gens que je rencontre à cette époque, leurs enfants sont partis et ils sont très fatalistes, la modernité est ailleurs, le pays est foutu", se souvient-il. "Comme ils sont conscients qu'après eux, les héritiers vont vendre la maison, ils ouvrent les greniers, les caves, les armoires et je commence à récupérer un certain nombre d'objets, outils, documents qui sont porteurs de cette mémoire". Au final, plus de 14.000 objets et quelque 20.000 photographies anciennes.

A 22 ans, Daniel Travier a renoncé à une carrière d'ingénieur pour poursuivre sa passion tout en entrant dans l'entreprise familiale de meubles et literie. "Je n'ai jamais utilisé une méthode d'enquête formelle avec un questionnaire, je faisais les livraisons de matelas ce qui me permettait de rentrer dans l'intimité et de nouer un contact fort avec les gens", explique-t-il.

- "Mieux rebondir sur le présent et l'avenir" -

En 1969, lors d'une exposition qu'il organise à Saint-Jean-du-Gard, le jeune homme au visage rond et à la barbe de sage, fait la rencontre de l'historien Philippe Joutard, qui travaille alors sur la mémoire orale liée à la guerre des Camisards (1702-1710). "Ça a été un flash", raconte Daniel Travier, "à partir de là, j'ai eu la caution de l'université qui me considérait comme un amateur parce que je n'avais pas fait d'ethnologie".

"Ce qui m'a beaucoup plu, c'est sa volonté de faire partager tout ce qu'il trouvait et de ne pas s'enfermer dans une mémoire morte", témoigne Philippe Joutard. "Son but a toujours été de transmettre un passé très riche pour mieux rebondir sur le présent et l'avenir", souligne l'historien.

Les années 1970 sont marquées par un regain d'intérêt pour la culture cévenole et l'arrivée de "néos", ce qui encourage le "passeur de mémoires" à poursuivre sa mission.

Initialement exposées dans plusieurs lieux privés, ses collections sont finalement regroupées en 2017 à Maison Rouge - Musée des vallées cévenoles, une ancienne filature de soie, magnifiquement rénovée et prolongée par une aile contemporaine utilisant la pierre sèche et le bois de châtaignier, les matériaux emblématiques des Cévennes. Le lieu est reconnu musée de France par le ministère de la Culture.

"C'est un outil de transmission mais c'est un musée qui raconte un pays qui est vivant aujourd'hui et des savoir-faire universels et de la modernité la plus totale comme la pierre sèche, la gestion économe de la ressource en eau à travers les terrasses, l'agropastoralisme, la botanique...", souligne Daniel Travier.

Marié, père de deux filles et trois fois grand-père, il se réjouit de voir que localement, les anciens y amènent leurs petits-enfants et que des ingénieurs haïtiens viennent aussi y étudier les vertus écologiques de la pierre sèche.

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