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De Chagall à César, l'art du faux décrypté par un maître du genre

Il se targue d'avoir réalisé "davantage d'oeuvres de César" que le sculpteur lui-même. Retiré des affaires, le faussaire Eric Piedoie Le Tiec revient sur son parcours flamboyant, émaillé de plusieurs années de prison qui n'ont en rien entamé sa passion de l'art.

Aujourd'hui encore, dit-il, il "voit" certaines de ses "oeuvres" en vente sur internet: "J'ai une façon de faire les choses. Mes collaborateurs - mes complices - en avaient une autre et je fais très bien la différence", s'amuse le sexagénaire lors d'un entretien à l'AFP, à l'occasion de la sortie ce jeudi en librairie de son autobiographie "Confessions d'un faussaire" (éditions Max Milo).

Longtemps connu comme "le principal prévenu dans le procès des faux César", cet ancien "pirate de l'art" est désormais galeriste et marchand d'art à Grasse, dans le sud de la France, et peint ses propres œuvres.

Avant d'entamer ce nouveau chapitre de sa vie il y a huit ans, il s'est fait connaître grâce à ses nombreux faux de Miro, Toulouse-Lautrec, Chagall et surtout de César --le maître des compressions d'objets -- écoulés sur le marché de l'art.

Ce "passe-temps" l'a occupé pendant environ quarante ans, dont dix en prison, pour subvenir aux besoins d'une vie "sex, drogues et rock'n'roll". Un parcours inspiré par Fernand Legros, considéré comme un des plus grands faussaires de la fin du XXe siècle, mais aussi et surtout, dit-il, par goût de l'art.

"Je m'intéresse forcément aux artistes, à leur travail, à leur fil d'Ariane... Et j'ai recommencé à le faire pour mieux comprendre", explique-t-il.

"Au-delà de la technique, il faut avoir l'esprit de l'artiste. C'est comme un acteur de théâtre: s'il n'entre pas dans son rôle, ce sera bidon. Il faut se concentrer, pénétrer le cerveau, les arcanes de sa pensée".

- Le vrai du faux -

Ancien étudiant en arts, Eric Piedoie Le Tiec a grandi près de Saint-Paul-de-Vence, patrie d'adoption de Chagall et Giacometti et théâtre d'une intense scène artistique dans les années 70.

"En manque d'argent", tout commence pour lui autour d'une tasse de thé noir. Il trempe une feuille de dessin dans le thé pour la vieillir et se met à exécuter un dessin trouvé dans un catalogue de Raoul Dufy. Premier essai concluant: il réussit à vendre le résultat l'équivalent de 900 euros à un marchand niçois.

Débute alors une vie à cent à l'heure, où il croise le roi du pop art, Andy Warhol, lors de soirées de défonce, se lie d'amitié avec l'écrivain et militant noir-américain James Baldwin, pénètre les ateliers d'artistes mondialement célèbres et crée des faux à la pelle, allant jusqu'à duper les experts.

D'où cette interrogation rapportée au début de son livre: n'aura-t-il pas lui même réalisé sans le savoir "des clones de fausses œuvres, même authentifiées ?"

A s'immerger dans le faux, difficile d'y voir clair. "Un bon faux, ce n'est jamais faux, c'est parfait dans l'esprit de l'artiste. Un bon faux c'est un vrai faux", résume-t-il dans une pirouette.

"Il n'y a pas de perdants dans mon histoire. (...) Personne. Ils ont tous gagné de l'argent. Le travail était parfait d'après ce qu'on me dit. Donc personne n'est venu se plaindre".

Et de décrire un marché de l'art envahi par les faux. Grâce aux complicités des experts, des galeristes, des proches des artistes. Quand ça ne vient pas d'eux-mêmes, assure-t-il.

Un marché en pleine accélération aussi, avec des œuvres s'envolant à des sommes astronomiques en des temps record.

"L'art, la drogue et les armes se vendent bien, et l'un sert souvent à financer l'autre", conclut cet observateur de choix, qui rêverait de voir son nom en haut de l'affiche dans un film résumant son parcours haut en couleurs.

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