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Du livre au procès, le récit contesté du viol d'Edouard Louis

Dans son deuxième livre paru en 2016, Edouard Louis racontait son viol par un amant rencontré un soir de Noël. Près de cinq ans après, cet homme a été jugé vendredi pour agression sexuelle et conteste toute violence sur le romancier.

Edouard Louis a 20 ans et n'a pas encore sorti l'ouvrage qui le rendra célèbre, "En finir avec Eddy Bellegueule", quand, le soir du 25 décembre 2012, il se rend au commissariat et porte plainte pour viol et tentative de meurtre.

Aux policiers, il rapporte avoir rencontré dans la rue, en sortant du réveillon, un dénommé Reda, qui l'a accompagné chez lui. Ils ont eu des relations sexuelles consenties, puis il s'est aperçu que sa tablette et son téléphone avaient disparus, relate-t-il.

Confronté, Reda est devenu menaçant, l'a étranglé avec une écharpe puis violé, déclare-t-il, ajoutant avoir réussi à se réfugier sur le palier avant que son agresseur ne quitte les lieux.

Cette nuit, l'écrivain la racontera dans "Histoire de la violence", paru le 7 janvier 2016. Deux jours après, l'enquête ouverte en 2012 est relancée: un suspect, interpellé dans une autre affaire, est confondu par son profil génétique.

"Je jure à la justice française qu'il n'y a jamais eu de violence": vendredi après-midi, cet homme, aujourd'hui âgé de 35 ans, est à la barre.

Comme dans de nombreux dossiers de viol, les faits ont été requalifiés en "agression sexuelle", amenant l'affaire devant un tribunal et non aux assises.

La tête penchée vers un interprète, cet Algérien confirme la rencontre avec Edouard Louis et reconnaît que, sans-papiers et "dans le besoin", il a tenté de subtiliser la tablette mais pas le téléphone.

"Je me suis même déshabillé pour lui montrer que je ne l'avais pas sur moi. Il ne m'a pas cru", assure le prévenu, connu sous plusieurs identités et surnommé Reda, remis en liberté fin 2016 après onze mois de détention provisoire.

"Je suis épuisé à cause de ce qu'il s'est passé, je suis devenu paranoïaque. A part les faits de vol, rien n'est vrai".

- "Vérité judiciaire" -

De l'autre côté de la barre, Edouard Louis, 27 ans, n'est pas là: il a "toujours peur", résume son avocat. Au cours de l'instruction, l'écrivain, figure de la gauche radicale et opposé à l'incarcération, avait refusé à deux reprises de se rendre à une confrontation et réclamé un non-lieu.

Cité comme témoin, le philosophe Didier Eribon, ami de l'écrivain, parle de son "état de choc" au lendemain des faits, décrit un traumatisme "profond, obsédant, durable".

Son auteur n'est pas là mais l'ouvrage de 2016, adapté au théâtre et traduit dans plusieurs langues, revient sans cesse dans les débats, évoqué par le témoin, cité par la partie civile, dénoncé par la défense.

"On ne juge pas un livre, on juge les faits", prévient la procureure, appelant à chercher une "vérité judiciaire" et non "littéraire".

Citant le rapport médico-légal qui avait constaté des lésions sur le corps d'Edouard Louis, ses "versions concordantes" auprès de ses "amis, des services de police, des médecins", elle requiert une peine de 4 ans dont 2 ans avec sursis contre le prévenu.

Encore aujourd'hui, Edouard Louis se réveille toujours "avec des angoisses, des phobies, des pleurs", lance son conseil Emmanuel Pierrat. Il insiste: au dossier, "vous avez des éléments au minimum plus que convaincants et qui ne relèvent ni de la littérature, ni de la subjectivité".

Cette affaire est "polluée" par le roman, tonne en réplique Marie Dosé pour la défense. De Reda, "on fait de toute façon un coupable", poursuit l'avocate, pour qui il n'y a jamais eu de "débat contradictoire".

Elle évoque une conversation privée sur les réseaux sociaux dans laquelle un écrivain disant connaître Edouard Louis affirmait qu'il avait tout "inventé" - il s'était ensuite rétracté.

"Il y a une seule histoire, il y a une seule vérité judiciaire dans ce dossier: c'est celle du doute", conclut l'avocate, demandant la relaxe.

Décision le 8 décembre.

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