Accueil Actu

Emma Lavigne: le Palais de Tokyo doit être la caisse de résonance de la diversité des mondes

La présidente du Palais de Tokyo, Emma Lavigne, évoque sa volonté d'y pousser plus loin la démocratisation culturelle, dont elle avait fait déjà sa priorité à la tête du Centre-Pompidou-Metz.

Q: Comment allez-vous piloter ce grand musée, censé être un lieu de créativité permanente?

R: Le Palais de Tokyo, plus grand centre d'art contemporain d'Europe, doit être une caisse de résonance du monde, de ses enjeux. On n'est pas dans la consommation culturelle mais dans la prise de conscience culturelle. On ne cherche pas nécessairement les expositions blockbusters, même si on souhaite plus de monde.

Nous n'avons pas de collections à gérer, à exposer. Cet espace flexible peut accepter toutes sortes de métamorphoses. Peu d'institutions ont la capacité d'aider les artistes à produire. Près de 50% des oeuvres que l'on expose sont produites par le palais.

A côté des grandes expositions thématiques sur l'état du monde - pour juin 2021 nous travaillons au projet "Réclamer la terre" faisant intervenir des artistes notamment aborigènes -, je suis sensible aux fameuses cartes blanches où l'on offre le palais, son espace, son ADN, sa souplesse, pour qu'un artiste vienne livrer son univers. Nous voulons être à 100% à l'écoute de sa vision brute, qu'on ne peut orienter. Nous allons accueillir la plasticienne allemande Anne Imhof et son univers très underground.

Le Palais de Tokyo doit pouvoir être un outil pour exprimer ses obsessions et visions. C'est l'espace de l'impossible.

Il est très important que les institutions soient des caisses de résonance, de polyphonie, de regards. On est comme un archipel de pensées, de sens. Ce sont aussi des formes de contre-pouvoir.

Car aujourd'hui le jugement va à une vitesse dingue. Et vas-y que je t'assassine sur les réseaux sociaux! Il faut donner des outils critiques aux gens pour qu'ils puissent se faire leur propre jugement. Je suis très méfiante de ces autodafés spontanés.

Q: Qu'est-ce qui vous tient le plus à coeur?

R: Aller plus loin sur la démocratisation culturelle. Pas de barrage. Je souhaite que les familles africaines, de culture arabe, se sentent chez elles. Il n'y a pas une seule modernité. On a énormement à apprendre pour respecter ces communautés, fragilisées, déracinées, en exil. Un tabou en France, c'est la question des communautés. A force de ne pas vouloir penser qu'il y a des communautés qui se forment sur notre territoire, on a du mal à penser que ces communautés ont envie de renforcer leur substrat culturel.

On va créer dans le Palais une maison, un lieu de médiation, de soins. On souhaite s'adresser aux exclus, aux gens dans des situations de handicap, de fragilité sociale. Ce projet va être prêt en septembre 2021. On a lancé un concours d'architectes. On voudrait y faire des ateliers de pratiques collectives, individuelles.

Q: Alors que le Palais de Tokyo et vous-même êtes connus pour votre ouverture aux questions du genre, que répondez-vous aux milieux LGBT qui regrettent que l'exposition "Le monde brûle" ait été montée avec le Qatar, où l'homosexualité est passible de la peine de mort?

R: Le Qatar est un pays très neuf. Il y a la charia dans la Constitution mais pas d'application de la peine de mort. La dernière exécution date de 1974. Il a encore des marges de progression à faire sur la question de l'homosexualité, mais en France, l'homosexualité n'avait pas été reconnue jusqu'à récemment. Au Qatar, elle est tout à fait tolérée dès lors qu'elle n'est pas démonstrative. Dans les années 50/60 en France, aux Etats-Unis, c'était ainsi. Et il y a encore beaucoup d'homophobie en France.

Nous ne travaillons pas avec un régime politique, on ne fait pas une expo avec l'Office du tourisme du Qatar.

Il y a un côté très moralisateur en ce moment. Où cela va-t-il nous amener? On va condamner l'Amérique de Trump et ne plus faire d'expositions avec nos collègues américains? Il faut avoir foi dans la force des institutions culturelles, outils d'évolution des mentalités, territoires de partage de sensibilités.

À lire aussi

Sélectionné pour vous