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Espagne: plus de 130.000 descendants des juifs expulsés en 1492 demandent la nationalité

Plus de 500 ans après l'expulsion des juifs d'Espagne en 1492, au moins 132.000 de leurs descendants ont demandé la nationalité espagnole en vertu d'une loi adoptée en 2015.

Le parlement espagnol avait adopté cette loi pour réparer ce que Madrid considère comme une "erreur historique": l'expulsion d'environ 200.000 juifs par les rois catholiques Isabelle et Ferdinand, au nom de la "pureté" du sang.

Ils avaient alors fui en particulier vers l'empire ottoman et l'Afrique du nord.

Selon les chiffres provisoires du ministère espagnol de la Justice, 132.226 personnes ont sollicité la nationalité espagnole avant la date limite de lundi. Les demandes s'étaient accélérées de manière spectaculaire en septembre avec 72.000 dossiers.

Mais le processus est long et complexe. Pour le moment, seuls 6.000 demandeurs ont obtenu la naturalisation, selon Pedro Garrido Chamorro, directeur général des registres et du notariat, un organisme dépendant du ministère.

La grande majorité des demandeurs habitent en Amérique latine, où les descendants des séfarades se sont établis à partir du XVIe siècle, à commencer par le Mexique (20.000), le Venezuela (près de 15.000) et la Colombie (environ 14.000). De nombreuses demandes sont aussi venues d'Argentine (plus de 4.000) et d’Israël (plus de 3.000).

- "On m'avait retiré quelque chose" -

"Je sentais qu'on avait retiré quelque chose d'important à ma famille et je voulais le récupérer", a raconté à l'AFP Doreen Alhadeff, Américaine de 69 ans, qui a obtenu la nationalité espagnole pour elle et ses deux petites-filles.

Doreen se souvient qu'elle entendait parler chez elle le ladino, l'espagnol du XVe siècle que les communautés séfarades ont conservé jusqu'à présent.

L'écrivain français Pierre Assouline, qui avait publié l'an dernier un roman volumineux sur ses origines séfarades ("Retour à Séfarad"), est de ceux qui attendent encore...

"J'ai des amis français qui ont obtenu le passeport (espagnol) plus vite. C'est étonnant et décevant", dit l'auteur, qui a présenté sa demande il y a près de quatre ans, en versant à son dossier une lettre de l'actuel roi d'Espagne, Felipe VI, lui-même.

"Nous savions depuis le début que ce serait une loi assez complexe en ce qui concerne les preuves" des origines, mais "il vaut toujours mieux une loi complexe que pas de loi du tout", tempère Miguel de Lucas, directeur du Centre Sefarad à Madrid.

Les candidats doivent faire certifier leur origine séfarade par un rabbin ou via une enquête généalogique et passer un examen d'espagnol à l'Institut Cervantès, dans le cas des non hispanophones.

Tous les candidats doivent en outre passer un test de culture et société. Les documents doivent ensuite être validés par un notaire et le demandeur doit se rendre en Espagne pour signer l'acte notarial...

Maya Dori, avocate israélienne de 43 ans qui réside en Espagne depuis 17 ans, s'enorgueillit d'avoir représenté le premier demandeur ayant obtenu la nationalité espagnole en décembre 2015.

- Racines -

Elle dit avoir elle-même présenté quelque 500 dossiers: "Je l'ai fait pour beaucoup de gens de nombreux pays: Uruguay, Panama, Costa Rica, Israël, Turquie, Angleterre, Etats-Unis" et "des enfants adoptés" y compris de couples homosexuels.

"J'ai dû me battre avec les autorités", assure l'avocate dont la grand-mère Lisa Romano, née en Libye et ayant émigré en Isräel dans les années 1950, "parlait un mélange bizarre d'italien, d'espagnol, d'arabe de Libye mais jamais l'hébreu".

Résumant un sentiment général, Maya Dori assure qu'en montant leurs dossiers, ses clients ont fait avec elle "un voyage personnel, se sont reconnectés à leurs racines et ont découvert beaucoup de choses sur leurs familles".

Avant la loi de 2015, l'Espagne acceptait déjà d'octroyer la nationalité aux Juifs dont l'origine séfarade avait été prouvée mais ils pouvaient seulement la solliciter à l'issue de deux ans de résidence en Espagne ou par le biais d’une lettre de naturalisation, donc à la discrétion du gouvernement. Dans la majorité des cas, il fallait que les intéressés abandonnent tout autre passeport.

Si l'attachement à la culture ancestrale importe, l'accès à un passeport européen est aussi attrayant dans des pays comme le Venezuela ou la Turquie, remarque Gonzalo Manglano, directeur de l'Institut Cervantes d'Istanbul, assurant que "les deux aspects ont eu beaucoup de poids".

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