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Gérard Jouannest, le pianiste aux doigts d'or de la chanson française

La mélodie de "Ne me quitte pas" c'était lui. Le pianiste Gérard Jouannest, homme de l'ombre de Jacques Brel puis de Juliette Gréco, dont il fut l'époux, laisse la chanson française orpheline d'un de ses plus grands compositeurs.

Le musicien virtuose, si discret dans la vie mais connu de tous les amateurs de chanson, est décédé mercredi à Ramatuelle (Var) à l'âge de 85 ans, a-t-on appris dans son entourage.

"Nous sommes honorés et heureux d’avoir pu travailler à ses côtés. Il n’était pas seulement un immense musicien mais aussi un homme discret, parfois espiègle et toujours d’une grande gentillesse", a salué Alexandre Baud, directeur de Quartier Libre qui avait produit la tournée "Merci" de Gréco en 2015.

Pour Gérard Jouannest, le moment de bascule d'une carrière artistique qui était destinée à rester dans la musique classique survint en 1959, lorsque le producteur Jacques Canetti lui fit rencontrer Brel, alors à la recherche d'un accompagnateur.

"Ne me quitte pas/Il faut oublier/Tout peut s'oublier": par ces mots, Brel, traumatisé par une séparation amoureuse, tient l'entame d'un des plus célèbres morceaux, et ne le sait-il pas encore, de l'histoire de la chanson française. Car derrière, des notes au piano l'accompagnent, imposant un contrepoint qui magnifie la mélodie.

Tout est déjà là dans le talent si subtil de Jouannest, qui, ironie de l'histoire, n'a pas été crédité dans "Ne me quitte pas", puisqu'il n'était pas encore inscrit à la Sacem.

Qu'importe: pour ce fils d'ouvrier, né à Vanves le 2 mai 1933, une nouvelle vie commençait pour ce jeune musicien qui avait suivi des études classiques - notamment avec Yvonne Léfébure, épouse du compositeur Olivier Messiaen - et qui subvenait aux besoins de sa famille en étant accompagnateur pour le groupe Les Trois Ménestrels.

Un rôle de l'ombre qu'il dépassera allègrement au cours des dix années d'une collaboration parfois agitée avec Jacques Brel. De leurs sessions sortiront des chansons éternelles comme "Bruxelles", "Madeleine", "Les vieux" ou encore "Mathilde".

- 48 ans avec Gréco -

Leur amitié dépassera le travail, au point que Brel, qui a décidé d'arrêter de chanter, lui change la vie une seconde, en lui faisant rencontrer Juliette Gréco en 1968, à qui le duo à écrit "On n'oublie rien". L'heureux hasard a fait le reste: Barbara a annulé une tournée à laquelle devait participer Jouannest, tandis que le pianiste de Gréco a été hospitalisé.

La "muse de Saint-Germain-des-Prés" fait alors appel à Jouannest. Ils ne se quitteront plus.

Ensemble ils créeront un répertoire riche d'une centaine de chansons, parmi lesquelles "Mon fils chante", "Vivre", "Les années d’autrefois" ou encore "Un jour d’été".

Leur relation, longue de 48 ans et qui se voyait encore sur scène en 2016 lorsqu'il l'accompagnait, avant qu’un accident de santé ne l'oblige à arrêter sa tournée, a dépassé le cadre professionnel, puisqu'il épousa la chanteuse en avril 1988.

Artiste engagé à gauche, qui avait soutenu la candidature de Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle, Gérard Jouannest était à l'affût des nouveaux talents.

Celui qu'on surnommait "Monsieur Gréco", avait fait appel pour les derniers albums enregistrés de la femme de sa vie, à la nouvelle scène française incarnée par Miossec ou encore Benjamin Biolay au début des années 2000.

En 2006, il avait notamment collaboré avec Abd al Malik pour son deuxième album qui le révéla "Gibraltar". Passionné et généreux, il rendait un immense hommage au jeune artiste, médusé face à lui lors d'une interview sur RFI.

"C’est comme avec Brel: il y a plein de choses que je lui jouais sur lesquelles il n’a pas écrit. Si ça n’enclenchait pas au départ, c’était foutu. Tous les jours en répétition, je jouais n’importe quoi. Et puis parfois: +rejoue-moi ça+. J’ai travaillé avec beaucoup d’auteurs depuis Jacques. Il n’y a qu’avec Malik que j’ai revécu ça. Quarante ans après".

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