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Gérard Manset, infatigable explorateur du paradis perdu

"Je ne suis jamais sorti de l'état d'innocence. J'ai cette chance d'être une sorte d'errant permanent dans un monde flottant": Gérard Manset invite une fois de plus au voyage, "à bord du Blossom", son nouvel album élégiaque dédié au paradis perdu.

L'artiste de 73 ans est un cas à part dans le paysage musical français. Méconnu du grand public, l'auteur-compositeur-interprète de disques importants tels "Gérard Manset" (1968), "La mort d'Orion" (1970) ou "Royaume de Siam" (1979) s'est toujours appliqué à entretenir le mystère à son sujet, prenant soin de rarement apparaître médiatiquement et refusant de se produire sur scène dont il abhorre "l'impudeur".

En 50 ans de carrière, le chanteur d'"Animal on est mal" est ainsi devenu une sorte de mythe vivant, vénéré par ses fans et qui jouit d'un statut unique dans l'industrie du disque, creusant le sillon de son oeuvre atypique en toute liberté.

"C'est quelque chose que j'ai entretenu. J'ai vu mes amis entrer dans les bureaux et se faire jeter, alors que moi j'en sortais avec ce que je voulais. Parce que j'étais raisonnable. J'ai quand même vendu pas mal d'albums et maintenant je suis devenu une sorte de danseuse", sourit l'intéressé, dans un entretien avec l'AFP.

Sa dernière odyssée musicale sort vendredi et ne manque pas de lyrisme. Comme souvent chez Manset, l'exotisme est au rendez-vous, et avec lui certains de ses thèmes favoris: la nature, l'enfance, l'innocence et le paradis perdus.

Cette fois, le chanteur-narrateur nous embarque "à bord du Blossom", un navire britannique du XIXe siècle commandé par le capitaine Frederick William Beechey, parti à la découverte d'une Terre pas encore cartographiée et à la rencontre d'une tribu primitive, incarnation d'une société ingénue idéalisée par Manset l'utopiste.

Et si Manset lui-même avait découvert le dernier petit îlot encore jamais exploré sur Terre lors de ses pérégrinations ? "Je n'y avais pas pensé ! Peut-être qu'à mon insu, j'ai trouvé cet îlot sans le savoir !"

- "De quoi devenir fou" -

"Mais en fait, cet îlot, il existait encore dans les années 1970, 1980", reprend-il, nostalgique. "Il y en avait des milliers aux Philippines, en Indonésie, au-dessus du Venezuela... Depuis, il y a eu internet, les outils de communication, la mondialisation et il n'y aura plus jamais rien de tout ça."

Tel un "capitaine ad hoc" tenant un journal de bord, Manset ravive de nombreux mots oubliés tirés d'ouvrages d'anthropologie ou d'anciens récits d'aventure - goémon, madrépore, santal, ménure-lyre, paradisier - et nous promène dans des contrées lointaines, Alao, la mer des Balabac, Surigao...

Celui qui voyage pourtant "en solitaire" sait aussi bousculer avec des chansons qui ramènent à la dure réalité du présent. La ballade pop "On nous ment" s'enchaîne ainsi à "Ce pays" qui ouvre l'album avec ses cordes désenchantées.

"J'aime mettre en rapport des choses qui n'étaient pas faites pour se rencontrer. Dans +Ce pays+, je décris pendant dix minutes un monde paradisiaque, où on sent quand même que ça va se gâter. Mais +On nous ment+ est aussi immature, là aussi on garde un pied dans l'innocence", souligne Manset de sa voix sur le fil.

Une innocence dont il se détache avec le magnifique "La vierge pleure". "J'ai retrouvé ces mots que j'avais écrits il y a très longtemps: +elle a reçu son émissaire, il lui remet la lettre+. J'en ai eu des frissons ! Et j'ai déroulé jusqu'à la fin: +Dans le grand palais du passé/Quelqu'un lave par terre/Tant de choses sont entassées/La vierge solitaire décide de se taire/Pour des millions d'années+".

Sur cette chanson, Manset a une voix grave. Et c'est avec la même mine qu'il affirme ne plus voyager: "le monde a beaucoup changé. Avant, je partais sans rien, dans un avion à moitié vide. A l'aéroport, le mec tamponnait le passeport parfois à l'envers et on passait. Maintenant, ce sont les files d'attentes, les empreintes digitales... De quoi devenir fou. La confrontation des deux époques est difficile."

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