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Homosexualité, violence, religion: la grenade Verhoeven lancée sur la Croisette

Un cinéaste aussi provocateur qu'anticonventionnel de 82 ans, Paul Verhoeven, lance vendredi une grenade dégoupillée sur la Croisette avec "Benedetta", thriller sur une nonne mystique et lesbienne qui scandalisa l'Italie du XVIIe siècle et promet d'électriser la compétition.

Le film, très attendu, offre un rôle majeur à l'actrice française Virginie Efira, et en fait à 44 ans une candidate sérieuse pour un prix d'interprétation. Elle est soeur Benedetta, jeune femme persuadée d'être en communication directe avec Jésus.

Grâce aux miracles qu'elle semble accomplir, elle gravit les échelons dans sa communauté religieuse de Toscane, corsetée par la morale biblique ("Ton pire ennemi, c'est ton corps", lui dit-on le jour de son arrivée) mais qui n'échappe pas à la corruption, en pleine épidémie de peste.

Les choses basculent lorsqu'une jeune femme pauvre, violée par son père, soeur Bartolomea, trouve refuge dans le couvent et rentre dans les ordres. Entre les deux religieuses naît une passion amoureuse intense et charnelle, évidemment condamnée par l'Eglise. Benedetta résiste, forçant même Bartolomea à plonger ses mains dans l'eau bouillante pour la châtier puis succombe... avec la bénédiction de Jésus, qui la guide.

Dans ses visions, "au début, Jésus lui dit non au sexe lesbien, et à la fin, il lui dit +vas-y+ !", relève pour l'AFP le réalisateur qui avait déjà secoué Cannes il y a près de trois décennies avec "Basic Instinct" (1992) et Sharon Stone en premier rôle, ou "Elle" (2016) avec Isabelle Huppert en femme violée qui se livre à un jeu pervers avec son agresseur masqué.

Jeux de pouvoir, trahison et faux-semblants, jusqu'au bout "Benedetta", tourné en Italie, tient en haleine : Virginie Efira, que Verhoeven avait repérée en la faisant tourner brièvement dans "Elle", joue à merveille l'ambiguïté d'un personnage dont on ne sait si elle est possédée, ou une incroyable manipulatrice, qui aurait pu se causer elle-même les blessures qu'elle fait passer pour des stigmates.

- Un film féministe ? -

Sorti simultanément en France, le film y reçoit un accueil chaleureux de la critique - à l'exception du quotidien conservateur Le Figaro, qui moque un Paul Verhoeven "Satan de peepshow". "Benedetta" est un "merveilleux film, joueur, inspiré, provocateur" pour Le Monde, "un grand film porté par une Virginie Efira impressionnante" bien que "pas toujours accessible par moments" pour Le Parisien. Libération célèbre "une explosion de plaisir et de blasphème".

Fidèle à une réputation qui lui vaut le surnom du "Hollandais violent", le réalisateur n'épargne personne. "Benedetta" se montre aussi joyeusement blasphématoire, Verhoeven jouant avec les symboles religieux, dont un sex-toy artisanal taillé par les amantes dans une statuette de la Vierge, un détail livré par la véritable Bartolomea.

Car l'histoire s'inspire d'un véritable procès d'une nonne lesbienne, qui s'est tenu au Moyen-Âge et dont les minutes, document rarissime, ont été conservées aux archives de Florence et redécouvertes par une historienne américaine, Judith C. Brown.

"L'histoire donne une idée de la façon dont les gens voyaient les relations lesbiennes en 1620, et ça peut donner une idée du chemin accompli jusqu'à aujourd'hui, où les gens pensent quasiment que l'homosexualité fait partie de la nature et qu'il n'y a plus de problème. Nous avons fait des progrès, en Europe occidentale", se réjouit Paul Verhoeven. Qui ajoute qu'il aurait eu "des problèmes" pour faire ce film aux Etats-Unis, où il a travaillé des années, de "Basic Instinct" à "Starship Troopers".

Si Benedetta raconte la prise de pouvoir d'une femme dans un milieu qui les opprime, Verhoeven signe-t-il pour autant un film féministe ? "C'est (un film) sur les femmes, et j'aime les femmes. Mais à part les différences biologiques, je ne pense pas qu'il y ait de différences entre les hommes et les femmes à l'origine, ni en matière créative ou d'intelligence... Est-ce qu'on appelle ça du féminisme ? C'est la réalité de la vie", répond-il.

Plusieurs fois présent à Cannes mais jamais couronné, le Néerlandais qui fêtera ses 83 ans au lendemain du palmarès (prévu le 17 juillet), a plusieurs fers au feu : un projet sur Jésus, un autre sur la trahison et l'entourage de Jean Moulin et un troisième sur le putsch raté d'Hitler en 1923.

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