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Jean-Pierre Mocky, l'anar du cinéma français

Franc-tireur du cinéma français, Jean-Pierre Mocky, décédé jeudi à Paris, était un maître de la dérision, auteur prolifique d'une œuvre inégale, entre comédies grinçantes, satires des mœurs contemporaines, et polars.

Également acteur, scénariste et producteur (il a toujours voulu contrôler l'ensemble du processus de production d'un film), il a réalisé plus de 60 longs-métrages ainsi qu'une quarantaine de téléfilms. Scénariste de ses films, il avait des acteurs fétiches, tels Jean Poiret, Michel Serrault ou Michael Lonsdale, dirigeant aussi des stars comme Bourvil, Philippe Noiret, Catherine Deneuve ou Jeanne Moreau.

"Je n'ai été d'aucune chapelle, d'aucun club et pas plus de telle ou telle +vague+", disait cet anar fort en gueule, ennemi de la demi mesure, qui a connu le succès et le déclin, sévère avec le milieu du cinéma. "La vérité, c'est que je fais peur aux décideurs. Je suis économiquement incorrect", estimait-il.

"Ses films n'épargnaient rien ni personne, et dénonçaient inlassablement les travers et les dérives de la société", a salué l'ex-ministre de la Jack Lang, qui était son ami.

"Jean-Pierre Mocky c'était un style, une gouaille, des amitiés, des coups de gueule et surtout du cinéma, son cinéma : unique, inclassable, provocateur et poétique", pour le ministre de la Culture Franck Riester.

Jean-Paul Adam Mokiejewski - grand-père tchétchène, père et mère polonais - naît le 6 juillet 1929 à Nice, date figurant dans sa fiche Who's Who et retenue par sa famille. Mais lui-même affirmait être né en 1933 et avoir été "vieilli" par son père, grâce à une falsification de son état-civil, pour lui permettre de prendre le bateau seul vers l'Algérie au début de la guerre.

Après de la figuration, au cinéma et au théâtre, le jeune homme à la "belle petite gueule", comme il dira, suit les cours de Louis Jouvet au Conservatoire.

Au début des années 50, il tente sa chance en Italie où il réussit pas trop mal. Parallèlement, il observe le métier de réalisateur : en 1954, il est stagiaire de Federico Fellini pour "La strada" et de Luchino Visconti pour "Senso".

- "17 enfants" -

De retour en France, il dirige en 1959 son premier film, "Les Dragueurs" (avec Charles Aznavour), qui marche bien. Très vite, il s'affirme en marge de la production traditionnelle avec des œuvres cyniques et pleines d'humour noir. Dans "Un drôle de paroissien" (1963, son seul film à avoir reçu l'avance sur recettes du Centre national du cinéma), Bourvil pille les troncs avec religiosité et, dans "L'étalon" (1970), les hommes qui assouvissent la fièvre des sens de dames malheureuses sont remboursés par la Sécurité sociale.

Il va désormais s'en prendre, avec une causticité très personnelle, aux magouilles financières ("Chut!"), aux absurdités du système judiciaire ("Le témoin)", à l'administration ("Les compagnons de la Marguerite"), aux dessous de la politique ("Une nuit à l'Assemblée nationale", "Piège à cons").

Ses cibles seront aussi la télévision abêtissante ("La grande lessive"), la presse ("Un linceul n'a pas de poches"), le business religieux ("Le miraculé"), le fanatisme sportif ("À mort l'arbitre!") ou la corruption généralisée ("Y a-t-il un Français dans la salle ?"), une de ses réussites.

Mais, à partir des années 90, le public ne le suit plus. Infatigable, il "bricole" à toute vitesse des séries B (parfois, jusqu'à trois par an!) et des comédies burlesques aux budgets misérables. Se qualifiant alors de cinéaste "underground", il dénonce "la mafia (ndr : du 7e art) comme-il-faut qui court Paris, Cannes, Venise, Berlin".

Peu distribués, certains de ses films ne sont projetés qu'au cinéma parisien "Le Brady" - antre mythique du cinéma fantastique jadis fréquentée par François Truffaut - qu'il a racheté en 1994 et revendu en 2011. Cette année-là, il acquiert l'Action Écoles, ciné du Quartier Latin rebaptisé "Le Desperado", où il diffusera ses œuvres.

Marié trois fois, Jean-Pierre Mocky a renoncé à compter sa progéniture. "J'ai 17 enfants connus. Voire davantage, les femmes que j'ai croisées le temps d'un fugace corps-à-corps se comptant par centaines", a-t-il écrit dans un livre amer de souvenirs, "Mocky soit qui mal y pense" (2016). Parmi ses enfants (le Who's Who en recense pour sa part six), figure le metteur en scène Stanislas Nordey.

En dépit de sa marginalité, Mocky avait reçu depuis 2010 plusieurs hommages et distinctions de la profession. "Leur effet sur moi est à peu près aussi durable qu'un pet sur une toile cirée", pestait ce "fauteur de troubles pour les uns, fouteur de merde pour les autres".

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