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Elles sont jeunes, issues de milieux populaires et elles forcent les portes du milieu fermé des grands maisons d'édition: la rentrée littéraire a fait émerger de nouvelles romancières.
Les 490 titres de cette rentrée comptent des valeurs sûres, qu'on retrouve sur les sélections des prix d'automne: Muriel Barbery pour le Goncourt, Marie Nimier pour le Femina, Virginie Despentes et Catherine Millet pour le Médicis, etc.
Mais il n'y a pas qu'elles. Le Médicis, parmi 15 livres en lice, a retenu Diaty Diallo, 33 ans, qui signe une fiction sur les violences policières en Seine-Saint-Denis ("Deux secondes d'air qui brûle", Seuil), là où elle habite, et Claire Baglin, 24 ans. Fille d'un ouvrier de l'Orne, cette dernière n'était pas prédestiné à devenir écrivain, et reconnaît combien un emploi en librairie l'a nourrie de lectures.
C'est un autre travail qu'elle décrit dans "En salle" (éditions de Minuit): celui d'"équipière" chez McDonald's. Avec un don particulier pour dépeindre la cuisson des frites, poste où la répétition des gestes fait penser à celle de l'ouvrier spécialisé.
Après avoir tenté un "récit d'usine" qui serait parti du témoignage de son père, elle a opté pour "un récit de fast-food, entrecoupé de souvenirs d'enfance", décrit-elle, interrogée par l'AFP au festival littéraire Correspondances de Manosque (Alpes-de-Haute-Provence).
Elle rapproche même son projet de celui de la "littérature prolétarienne", genre qui eut son heure de gloire des années 1930 à 1970.
"Je pense qu'elle a encore des choses à dire (...) Je ne sais pas si c'est de la littérature prolétarienne. Je ne le pense pas vraiment. Mais je pense que le travail est une matière intéressante pour le roman", estime Claire Baglin.
- "Très en décalage" -
Autre expérience de vie, autre matériau pour les romans d'Émilienne Malfatto, 32 ans: le reportage en zone dangereuse.
Cette journaliste indépendante, ancienne collaboratrice de l'AFP en Colombie et en Irak, décrit dans "Le colonel ne dort pas" (éditions du Sous-Sol) un pays en guerre fictif. Prose et poésie alternent pour dépeindre les tourments d'un spécialiste de la torture.
"Jamais je n'avais pensé écrire une fiction. Et c'est arrivé en une nuit", se souvient-elle, au sujet de son livre prix Goncourt du premier roman 2020, "Que sur toi se lamente le Tigre", qui évoque une jeune fille irakienne.
"Je viens d'une famille où il n'y a pas d'écrivains, pas de journalistes: moi c'était des immigrés italiens et des paysans lozériens! Ça fait bizarre", dit-elle en riant.
Maria Larrea, 42 ans, a connu la même sensation en étant reçue par le PDG des éditions Grasset, Olivier Nora, qui allait publier son premier roman, "Les gens de Bilbao naissent où ils veulent".
"En tant que fille d'une femme de ménage, je vais chez un grand patron d'une grande maison d'édition, et je pensais avoir la même impression qu'en allant chez le principal, le proviseur, le directeur. En fait pas du tout", déclare-t-elle, interrogée à Manosque.
Pour elle qui habitait enfant dans le centre de Paris, "ce n'était pas facile de venir d'une famille de prolos, d'avoir des parents illettrés, qui étaient violents, alcooliques: j'étais très en décalage avec tous mes camarades de classe".
L'ironie, et c'est ce que raconte le roman, veut que sa mère biologique ait été une femme aisée, adultère, qui l'a abandonnée pour une adoption illégale. Pour peu, elle grandissait dans un tout autre milieu.
Mais après avoir retrouvé cette autre mère, Maria Larrea ne regrette rien: "Cette enfance, c'est mon trésor de guerre, de ma guerre civile à moi".
