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L'écrivain Gabriel Matzneff, amours mineures et scandale majeur

Tout Gabriel Matzneff - l'homme, son œuvre et l'odeur de soufre qui l'accompagne - semble contenu dans son essai de 1974, "Les moins de seize ans", qui décrit son attrait pour les adolescents des deux sexes.

L'écrivain de 83 ans au crâne rasé est visé par une enquête pour "viols commis sur mineur", ouverte vendredi par le parquet de Paris au lendemain de la sortie du livre de l'éditrice Vanessa Springora, qui raconte sa relation sous emprise avec l'auteur, au milieu des années 1980, alors qu'elle avait à peine 14 ans.

Ce tournant judiciaire pose ouvertement la question de la tolérance après mai 68 d'une partie de l'intelligentsia et des médias vis-à-vis de la pédophilie et d'un auteur très en vogue dans les années 70.

"Pourquoi une adolescente de quatorze ans ne pourrait-elle aimer un monsieur de trente six ans son aîné?", s'interroge Vanessa Springora dans "Le Consentement" (Grasset), pour ensuite réaliser que la question est "mal posée": "Ce n'est pas mon attirance à moi qu'il fallait interroger, mais la sienne".

L'écrivain y voit un "ouvrage hostile, méchant, dénigrant" et non le récit de ce qu'il qualifie pour sa part de "lumineuses et brûlantes amours".

"Non, ce n'est pas moi, ce n'est pas ce que nous avons ensemble vécu, et tu le sais", affirme-t-il dans un texte transmis à l'Express. Il accuse l'éditrice de le "précipiter dans le chaudron maudit où furent jetés le photographe Hamilton, les cinéastes Woody Allen et Roman Polanski".

- Interpellé pendant "Apostrophes" -

"Le Consentement" relance le débat entre les accusateurs de l'écrivain - qui n'a jamais été jugé - et ses défenseurs, dont il n'a jamais manqué dans le milieu littéraire.

La polémique est illustrée par cette archive vidéo devenue virale, datant de 1990 sur le plateau de l'émission littéraire "Apostrophes". Interpellé par l'écrivaine canadienne Denise Bombardier, qui juge qu'il aurait eu "des comptes à rendre à la justice" s'il n'avait pas "une aura littéraire", Matzneff rétorque qu'il trouve intolérable qu'elle porte sur son œuvre un jugement moral plutôt que littéraire.

La Québecoise sera davantage critiquée que l'écrivain érudit aux manières courtoises, volontiers drôle et provocateur - reflet d'une époque révolue, près de 30 ans avant l'ère #Metoo.

"Les écrivains sulfureux et libres sont indispensables à la respiration de la nation", estimera ce grand lecteur de stoïciens.

Celui qui ciblait ses rencontres dans les années 70 à la très chic piscine Deligny de Paris, a publié une dizaine de romans, des recueils de poèmes, quatre récits, quinze essais, un énorme Journal intime, deux volumes de courrier électronique. Des livres largement traduits, même s'il n'a vendu que 1.000 exemplaires du 14e volume de son Journal, le 15e étant sorti fin 2019.

L'ambiance des milieux russes blancs de Paris occupe une place importante dans les livres de cet écrivain né le 12 août 1936 à Neuilly-sur-Seine, dans une famille issue de l'émigration russe provoquée par la Révolution de 1917. Après le divorce de ses parents, son enfance se déroule dans un milieu cultivé.

- Mitterrand admiratif mais prudent -

En 1954, il suit à la Sorbonne des études de lettres et de philo, noue une "amitié orageuse", selon ses mots, avec Henry de Montherlant.

Après son service militaire en Algérie et en métropole, il tente de se suicider et est interné deux mois en neuro-psychiatrie.

Il écrit dans "Combat" , approfondit sa connaissance de la religion orthodoxe, voyage, se marie, divorce. En 1965, paraît son premier essai "Le Défi", suivi un an plus tard de son premier roman, "L'Archimandrite".

Au fil des ans, livres et rencontres amoureuses vont se succéder. Chacune est l'occasion d'une page, d'un chapitre, d'un ouvrage.

En 1989, le président François Mitterrand écrit à son propos, admiratif mais prudent : "Je l'ai connu lorsqu'il était un très jeune auteur, vif, grave et léger, un peu littérateur (...). J'ai perdu de vue le personnage qu'il est devenu, jamais l'écrivain qu'il est resté".

Chroniqueur depuis 2013 du Point.fr sur la spiritualité et les religions, il reçoit cette année-là le Renaudot de l'essai - son premier prix littéraire - pour "Séraphin, c'est la fin". Le jury avait voulu "faire preuve de compassion", explique aujourd'hui l'un de ses membres, Frédéric Beigbeder, tout en reconnaissant un choix "maladroit".

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