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L'Espagne exhume le dictateur Franco de son mausolée monumental

Le dictateur Francisco Franco, qui a dirigé l'Espagne d'une main de fer de 1939 jusqu'à sa mort en 1975, a été exhumé jeudi de son mausolée monumental et réenterré près de Madrid, 44 ans après la fin d'un régime dont les plaies ne sont toujours pas refermées.

Arrivée en hélicoptère au cimetière de Mingorrubio, dans le nord de Madrid, sa dépouille embaumée a été réinhumée aux côtés de son épouse dans ce lieu plus discret où repose aussi le dictateur dominicain Rafael Trujillo, assassiné en 1961.

Rassemblés près du cimetière, environ 200 nostalgiques du régime ont chanté l'hymne du parti fascisant de la Phalange, pilier du régime du dictateur qui a remporté la sanglante guerre civile espagnole (1936-1939), en faisant le salut fasciste, bras droit tendu en avant.

"Franco ne mourra jamais", a déclaré à l'AFP Miguel Maria Martinez, retraité. "Il a sauvé l'Eglise et nous a tenus à l'abri du communisme", a affirmé pour sa part José Martinez.

Dans la soirée à Madrid, plusieurs dizaines de proches de victimes du franquisme ont manifesté leur joie sur la Plaza del Sol, faisant sauter des bouchons de vin pétillant.

"C'est un grand pas (..) Il y a dix ans, cela aurait été impensable", a déclaré à l'AFP Purificacion Lopez Peña, 64 ans. "La vraie Transition démarre maintenant", ajoute Pury Gallardo Leon, 63 ans, référence à la période dite de "transition démocratique" ayant suivi la fin de la dictature franquiste.

"Tout reste à faire: il faut juger le franquisme, qui fut un régime criminel. Il n'y a eu aucune justice dans ce pays", se désolait néanmoins Jose Espinosa Losa, 75 ans.

Peu avant 11H00 GMT, le cercueil du dictateur était sorti de l'imposante basilique creusée dans la roche du mausolée du "Valle de los Caidos", porté par huit membres de sa famille dont son arrière petit-fils Louis de Bourbon, cousin éloigné du roi d'Espagne Felipe VI et considéré par les légitimistes comme le prétendant au trône de France.

A Mingorrubio l'attendait l'ancien colonel Antonio Tejero, auteur en 1981 d'une tentative de coup d'Etat dans le Parlement espagnol, dont le fils a ensuite célébré un office religieux.

- Mausolée sans équivalent en Europe occidentale -

Le Premier ministre socialiste Pedro Sanchez avait fait du transfert de la dépouille du "Caudillo" une priorité dès son arrivée au pouvoir en juin 2018, pour que ce mausolée, sans équivalent dans d'autres pays d'Europe occidentale ayant été dirigés par des dictateurs, ne puisse plus être un "lieu d'apologie" du franquisme.

Cela met fin à un "affront moral", à une "anomalie pour une démocratie européenne", a déclaré M. Sanchez dans une allocution solennelle.

Promise pour l'été 2018, l'opération a été retardée de plus d'un an par les recours en justice successifs des descendants du dictateur.

A moins de trois semaines des législatives du 10 novembre, les détracteurs de M. Sanchez à droite comme à gauche l'accusent d'en faire un argument électoral, alors qu'une semaine de manifestations violentes en Catalogne ont mis le socialiste en difficulté.

Ordonnée par Franco en 1940 pour célébrer sa "glorieuse Croisade" catholique contre les républicains "sans Dieu", la construction du "Valle de los Caidos" ("La vallée de ceux qui sont tombés") a duré près de 20 ans et été réalisée par des milliers de prisonniers politiques.

Ce complexe monumental est surplombé d'une croix de 150 mètres de haut, visible à des dizaines des kilomètres à la ronde.

Au nom d'une prétendue "réconciliation nationale", le "Caudillo" y avait fait transférer les corps de plus de 30.000 victimes de la guerre civile, des franquistes mais aussi des républicains, sortis de cimetières et de fosses communes sans que leurs familles en aient été informées.

Depuis sa mort, sa tombe, située au pied de l'autel de la basilique, y était toujours fleurie.

- Vote du parlement en 2017 -

Le gouvernement a agi sur la base d'un vote en 2017 du Parlement espagnol demandant l'exhumation de Franco, resté lettre morte en raison de l'opposition du gouvernement conservateur de Mariano Rajoy.

Depuis l'adoption en 2007 par les socialistes d'une "Loi de mémoire historique", la droite ne cesse d'accuser la gauche de vouloir rouvrir les blessures du passé, loin d'être refermées dans un pays où des villages portent encore le nom du dictateur et où plus de cent mille victimes républicaines sont toujours portées disparues.

M. Rajoy se vantait publiquement de ne pas avoir dépensé un euro pour appliquer cette loi visant à faire retirer les vestiges de la dictature, à identifier les corps jetés dans des fosses communes et à réhabiliter la mémoire des républicains condamnés sous le franquisme.

"L'Espagne actuelle est le fruit du pardon mais elle ne peut pas être le produit de l'oubli", a souligné M. Sanchez.

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