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L'opéra "Guru" de Laurent Petitgirard, une diatribe contre la manipulation

"Que tu sois cultivé ou pas, à un moment de la vie tu peux tomber dans le piège" d'une secte et d'un guru, insiste le compositeur français Laurent Petitgirard, l'oeil fixé sur le décor sobre et sombre de l'Opéra de Szczecin en Pologne.

Son opéra "Guru", qui traite de la manipulation mentale dans l'univers d'une telle secte, sort en création mondiale vendredi soir dans cette ville de l'extrême nord-ouest du pays.

Pour Laurent Petitgirard, 68 ans, qui a écrit une centaine de partitions de musique de chambre, de films et de séries télévisées, "Guru" a été une véritable saga pendant neuf ans, entre une programmation ratée au Châtelet et de multiples reports à l'Opéra de Nice.

Il aura attendu neuf ans avant de réaliser le rêve de le porter sur scène, dans le cadre historique de la Maison de Griffon de Poméranie, reconstruite après la Seconde guerre mondiale, qui abrite aujourd'hui les salles modernes de l'Opéra du château de Szczecin.

"Je vis un vrai bonheur d'y être enfin arrivé", assure le compositeur, qui avait fait enregistrer la musique il y a quelques années.

- "Un opéra militant" -

Dans "Guru", il explore la manipulation mentale à travers une secte apocalyptique. "Cet opéra mélange la violence de Jim Jones avec le charabia de l'ordre du Temple solaire", a expliqué le compositeur lors de deux entretiens successifs accordés à l'AFP.

Jim Jones est le fondateur et gourou du "Temple du peuple" qui avait ébranlé le monde en 1978 avec la mort de 908 personnes par ingestion de cyanure de potassium ou par balles.

"Ca a été un véritable choc pour moi car c'est allé très loin dans la violence", a souligné Petitgirard, qui dit avoir eu des amis pris dans les filets de différentes sectes.

"Ce qui m'a toujours impressionné, c'est l'incapacité d'avoir un discours rationnel avec les membres d'une secte. Si le gourou leur dit +le 31 décembre c'est la fin du monde+ et que le lendemain ils sont encore vivants, ça ne les gêne nullement", ajoute-t-il.

Dans l'opéra, dont le livret est signé de Xavier Maurel et la mise en scène de Damian Cruden, directeur du York Theatre Royal, une seule personne résiste au gourou, en refusant de chanter.

"J'ai considéré le chant comme la drogue de la secte", explique le compositeur dont l'épouse, l'actrice Sonia Petrovna, incarne ce rôle.

"C'est un opéra militant, qui dit que la secte peut être en bas de chez vous et qu'il faut tenir plus compte de ce phénomène de société", poursuit-il.

"Ca rebondit sur tout ce qui se passe en ce moment, sur Daech et sur toutes les horreurs qu'on peut voir : des gens, des enfants qui sont complètement pris sous la coupe de ces personnes qui ont un vide en eux et qui ne trouvent que ça, le pouvoir sur l'autre", précise Sonia Petrovna, interviewée par l'AFP, dans l'entracte de la répétition générale.

- Querelle esthétique -

En France, Laurent Petitgirard est classé comme compositeur à la musique dite "néotonale", c'est-à-dire plus traditionnelle et lyrique que celle, volontiers plus abstraite et avant-gardiste, qui s'est développée notamment sous l'influence de Pierre Boulez.

Si cette querelle esthétique est ancienne, elle a déchaîné de nouveau les passions ces dernières années, les partisans de la tonalité appelant au retour de la mélodie et dénonçant l'ésotérisme d'une grande partie de la musique contemporaine.

Pour Petitgirard, c'est le caractère tonal de sa musique qui fait qu'il est boudé par la plupart des maisons d'opéras françaises qui, selon lui, aiment le "label d'extrême avant-garde".

- A guichets fermés -

Jacek Jekiel, le directeur de l'Opéra du château de Szczecin, le voit d'un oeil différent: "La partition est fantastique, on voit toute son expérience des musiques de film et moi je suis un grand cinéphile. Et il y a le thème. J'ai toujours penché pour les opéras dont l'histoire ne date pas d'il y un ou deux siècles et que tout le monde tente de mettre à jour. Guru est un opéra qui a lieu aujourd'hui".

"Nous avons un public qui vit à l'heure présente, les jeunes, les étudiants. C'est un sujet qui les concerne: ils sont confrontés à une manipulation extrême, de la part de leurs profs, de leurs parents, de leurs chefs au travail, des hommes politiques et, hélas aussi, des médias".

Les spectacles prévus le week-end et au début de la semaine prochaine se jouent à guichets fermés.

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