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Le blues balkanique fait son cinéma au Festival de Thessalonique

D'une comédie noire macédonienne à un requiem serbe pour candidate au suicide, le cinéma balkanique expose son désenchantement au Festival international du film de Thessalonique, plateforme depuis les années de guerre pour la production des pays voisins.

Créée en 1994 au sein du Festival grec, dont la 58ème édition s'achève dimanche, la section "Regards sur les Balkans", propose 15 longs et courts métrages issus de la production annuelle de la région, dont les frontières vont cette année jusqu'au Kurdistan turc avec "Zer", un road-movie identitaire du réalisateur turc Kazim Öz.

Au départ, alors que la Yougoslavie se démembrait dans les massacres, les organisateurs du Festival entendaient casser la représentation médiatique d'une région réduite à son aspect de "poudrière", et lutter contre les préjugés de voisinage, vivaces aussi en Grèce, explique à l'AFP le programmateur, Dimitris Kerkinos.

Depuis, les productions locales ont gagné les écrans internationaux, notamment portées par les nouvelles vagues des cinémas roumain et turc, grandes puissances régionales du film.

Mais noirceur et humour, en forme de politesse du désespoir, continuent de prédominer, en réaction selon M. Kerkinos à la "déception" prévalant dans la région face à "une transition qui ne finit pas".

"La démocratie devait arriver et tout changer, mais depuis 20 ans peu de choses ont changé, la corruption reste, le développement ne vient pas", résume-t-il.

- 'La dépression comme legs' -

Dans ces conditions, même se suicider devient une gageure, raconte le Serbe Bojan Vuletic, dans son "Requiem pour Mme J", où la dépression est dépeinte "comme le seul legs commun laissé à ce coin de la planète par le passage du communisme au capitalisme".

Quoique sur un mode plus jubilatoire, il est encore question de suicide dans "Secret ingredient", le premier film très maitrisé du Macédonien Gjorce Stavreski, projeté en première mondiale à Thessalonique.

Pour soulager son père cancéreux et suicidaire, le protagoniste, Vele, finit par le bourrer de cake au cannabis faute d'argent pour les médicaments. Le traitement marche, mais il devra encore échapper à la mafia, à qui il a subtilisé la drogue, et aux foules de voisins mal portants que sa réputation de guérisseur miracle fait se presser à sa porte.

"C'est comme si Vele tentait de surnager alors qu'il a les pieds pris dans un filet (...), c'est une bonne métaphore de la vie dans les Balkans", explique le réalisateur à l'AFP.

Pour le cinéaste, le cinéma balkanique, en exposant le "capitalisme de cow boy" sévissant dans la région, devrait aussi servir d'avertissement au reste de l'Europe "qui va dans la même direction".

- Censure et exil turcs -

Pire encore en Turquie, où les cinéastes sont devenus des "cibles" pour le régime en pleine dérive autoritaire, déplore Kazim Öz.

Beaucoup ont quitté le pays, ce qui laisse mal augurer de la production nationale à venir, relève M. Kerkinos. Kazim Öz a choisi de rester, mais son film, qui évoque le massacre de milliers de Kurdes à Dersim (est de la Turquie) en 1937 a été partiellement censuré lors de sa sortie au festival d'Istanbul, et se heurte depuis souvent à des salles closes.

Comme en Grèce, où la crise a fait émerger une nouvelle vague radicale désormais incarnée par le multi-primé Yorgos Lanthimos, la déprime n'empêche pas la cinématographie balkanique de se renouveler et se diversifier, relève M. Kerkinos.

Pas question ainsi pour Gjorce Stavreski de "bricoler un petit film balkanique" ou une "farce" folklorique de plus. Il a voulu jouer le jeu du "processus européen de production" pour "sortir des frontières".

"Regards sur les Balkans" décline ainsi une large gamme, de la psychanalyse de couple livrée par le Roumain Calin Peter Netzer avec "Ana, mon amour", au récit familial intimiste "3/4" filmé au plus près des corps et émotions par le Bulgare Ilian Metev, ou à la fable dystopique "Grain" du Turc Semih Kaplanoglu.

Nombreuses, se réjouit M. Kerkinos, sont aussi les coproductions régionales, longtemps inimaginables. "Secret ingredient" a ainsi été coproduit par la Macédoine et la Grèce, alors même que les deux pays n'ont toujours pas réussi à solder la querelle sur le nom de "Macédoine", qui les oppose depuis 1991.

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