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Le genre entre dans la danse à l'Opéra de Paris

Chorégraphier le genre n'est pas nouveau, mais dans le spectacle présenté jusqu'au 8 juin à l'Opéra Garnier, des artistes questionnent le masculin et le féminin sur un ton très personnel

Dans une danse de l'Israélien Hofesh Shechter, les femmes sont menaçantes, une réminiscence de la mère qui l'a abandonné à l'âge de deux ans. Et chez le chorégraphe espagnol Ivan Pérez, qui assume son homosexualité, l'homme est pluriel.

Si dans les œuvres de la légendaire Pina Bausch, les deux genres sont bien séparés, les lignes se brouillent, intentionnellement, dans les danses de Shechter, Pérez et celles de la Canadienne Crystal Pite.

"Je voulais savoir ce que veut dire un danseur masculin aujourd'hui ? Comment la sexualité influence l'interprétation? Les danseurs sont-ils conscients de leur masculinité sur scène?", explique à l'AFP Ivan Pérez, 34 ans.

Il chorégraphie "The Male Dancer", sa première création pour le ballet de l'Opéra de Paris, avec dix danseurs --étoiles, solistes et corps de ballet confondus.

Certains portent des costumes (signés Alejandro Palomo) aux couleurs chatoyantes, d'autres sont plus neutres; ils s'engagent tour à tour seuls, pour un pas de deux et en groupe.

- Masculin, féminin, indéfini -

"Certains sont plus masculins, d'autres plus féminins, d'autres neutres. Je voulais montrer les différentes possibilités; on peut être ce qu'on veut, on peut être indéfini", poursuit le jeune chorégraphe basé aux Pays-Bas et ex-danseur du réputé Nederlands Dans Theater (NDT).

"Je parle du danseur masculin en tant qu'homme mais aussi en tant qu'homosexuel (...) on est dans un temps où on questionne la fluidité du genre", ajoute l'artiste qui a été sollicité par la directrice du ballet de l'Opéra Aurélie Dupont.

Pour lui, la danse contemporaine doit "refléter des valeurs contemporaines, la manière dont on voit le monde".

Il raconte d'ailleurs comment son père a dû abandonner son rêve de devenir danseur "en raison des préjugés de l'époque (en Espagne) qui voulaient que les hommes faisant de la danse soient considérés comme +féminisés+".

Il se félicite d'ailleurs que dans son pays natal, toujours dominé par le flamenco, des écoles de danse mettent le contemporain en avant.

Dans "The Art of Not Looking Back", créée en 2009 mais revisitée cette année pour l'Opéra de Paris, Hofesh Shechter propose une vision du genre encore plus personnelle, née de l'abandon par sa mère.

"Le portrait que je fais de la femme est très lié à mon histoire (...) elle apparaît forte, animale, dangereuse, imprévisible", explique le chorégraphe de 43 ans basé en Grande-Bretagne.

Après "Uprising" --un de ses premiers succès mettant en scène uniquement des hommes--, "j'ai compris que ce que je faisais, c'est d'essayer de comprendre comment les femmes se sentent à l'intérieur de leur corps", comme par exemple lorsqu'elles miment un accouchement sur scène, dit-il.

Mais à l'instar de Pérez, Shechter questionne ce qui sépare les deux sexes.

"Pourquoi y aurait-il une différence? Il y a l'ADN, mais la manière dont bouge une femme, est culturel", assure le chorégraphe qui compose également la musique de ses pièces, souvent assourdissante.

En clôture de la soirée, dans la reprise de la très poétique chorégraphie de Crystal Pite, "The Seasons' Canon", les frontières entre les deux sexes sont encore plus floues.

Tous habillés d'un pantalon, danseurs (torse nu) et danseuses (en justaucorps couleur chair) forment un groupe qui semble respirer comme... un seul homme.

Les variations d'hommes et de femmes évoquent les mêmes idées de survie, de migration, de domination, indépendamment du sexe.

Mais l'attitude par rapport au genre la plus extrême revient sans doute au spectacle d'ouverture, présenté dans les espaces publics de Garnier: dans "Frôlons" du metteur en scène français James Thierrée, la soixantaine de danseurs ne sont ni femmes ni hommes, mais des créatures étranges qui ressemblent à des insectes.

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