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Le kabuki, depuis 400 ans, un art réservé aux hommes

Théâtre japonais multiséculaire, le kabuki a donné lieu à des versions basées sur les mangas et les textes contemporains. Mais depuis 400 ans, l'un de ses aspects reste immuable, celui d'être uniquement joué par des acteurs masculins.

Avec deux spectacles à Chaillot, le public parisien redécouvre cette forme théâtrale aux multiples facettes ("ka" pour chant, "bu" pour danse et "ki" pour l'art du jeu). A l'approche des jeux Olympiques de Tokyo de 2020, le Japon et les organisateurs des tournées cherchent à promouvoir cet art, qui comprend entre autres des scènes de combat et des gestes de mime (furi) et a la particularité, depuis le 17e siècle, de mettre en scène des "Onnagata".

Il s'agit de rôles féminins interprétés par des hommes, nés de l'interdiction par les shoguns (gouverneurs militaires) aux femmes de monter sur scène.

Des commissions spéciales au Japon s'étaient penchées sur la question à la fin du 19e siècle mais la tradition a été maintenue. Sans que cela ne fasse débat aujourd'hui au Japon, même si des acteurs se disent ouverts en théorie à l'idée.

"C'est vrai que c'est une question qui peut se poser", avance Nakamura Shichinosuke II, un des deux principaux acteurs jouant à Chaillot.

"Je verrais sans problème des comédiennes sur scène", affirme à l'AFP l'homme de 35 ans, qui appartient à la jeune génération d'acteurs de cet art dynastique.

- Féminin sans être femme -

Mais pour son aîné, Nakamura Shido II, 46 ans, le kabuki masculin justifie l'essence même de cet art.

"Il s'agit justement d'apprécier l'artificialité d'une interprétation féminine faite par un homme. On essaie de montrer de la féminité sans être femme", ajoute l'acteur dont la voix calme tranche avec celle tonitruante qu'il adopte sur scène.

Dans "Narukami", l'un des deux spectacles donnés à Chaillot et l'une des pièces les plus célèbres du répertoire, la princesse Kumo no Taema est envoyée par la Cour séduire le saint ermite Narukami pour déjouer son sortilège qui prive les hommes de pluie depuis plusieurs mois.

Les scènes montrent un bouche à bouche, des attouchements, on y parle de seins et on fait allusion à une érection.

"Si c'est une femme réelle qui interprète la princesse, cela va être trop cru; c'est justement là où l'art réside", explique encore Shido, qui a débuté sa carrière avec le rôle d'une servante.

Pour ces deux acteurs populaires au Japon, l'onnagata n'est pas une caricature -- la voix féminine exagérée, le chignon laborieux, et même la manière très feutrée d'évoluer sur scène.

- "Difficile d'incarner une femme" -

"Les costumes et la perruque sont lourds, il y a beaucoup d'accessoires et il faut savoir jouer et danser avec plus de 10 kilos sur soi. C'est difficile d'incarner une femme dans le registre du kabuki", souligne Shido.

"Il ne s'agit pas ici d'un mouvement social ou féministe mais d'une tendance artistique", explique Shichinosuke.

"Il y a un sentiment que si des rôles féminins étaient interprétés par des femmes, la spécificité même du kabuki serait mise en danger et que quelque chose d'essentiel se perdrait", explique à l'AFP Patrick De Vos, spécialiste français de la scène japonaise.

Dans un article paru en 2015 dans Japan Times, un expert du Japon, Damian Flanagan, osait le titre "Autorisez les femmes au kabuki", suggérant que les femmes pourraient par exemple jouer le rôle de "bishonen" (beaux jeunes hommes"). "Cela enrichirait énormément le kabuki", estimait-il.

Car au-delà de la question des femmes, et parallèlement au kabuki classique, des acteurs et des producteurs ont cherché à rendre le registre kabuki plus moderne en s'aventurant dans d'autres formes: le "super kabuki", aux techniques plus extravagantes, ou le nouveau kabuki, qui se base sur des textes contemporains.

Et récemment, des pièces ont été basées sur des mangas populaires comme "One piece" ou Naruto tandis que d'autres ont inclus un personnage virtuel extrêmement populaire au Japon, Miku Hatsune, un personnage... féminin.

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